Friday, September 4, 2009

L’évasion et la capture de Taha Hajji Sleiman


Le mardi 18 août, un islamiste s’évade de la prison de Roumié. Vingt-quatre heures de cavale que Magazine retrace à la minute près, grâce au témoignage d’un officier d’un corps d’élite, qui a participé à la capture du fuyard.

Il est 5h30, le mardi 18 août. Le portable, posé sur la table de nuit, sonne bruyamment en égrenant les paroles d’une vieille chanson orientale. Au bout du fil, un soldat de la base de commandement de l’armée annonce aux gradés des forces spéciales: «Une évasion des membres de Fateh al-islam vient de se produire à la prison de Roumié».
Roumié, 30 minutes plus tard. Au nord-est de la capitale, le soleil se lève au-dessus des montagnes sans parvenir à adoucir la silhouette lugubre de la prison abritant près de 4000 détenus.
Huit prisonniers ont tenté de s’échapper de Roumié à 5h15 du matin. Sept d’entre eux étaient des membres de la nébuleuse de Fateh al-islam, dont un militant important.

Un membre du Fateh-Intifada

«L’évadé, Taha Ahmad Hajji Sleiman, le seul des huit à avoir réussi à franchir le mur haut de 13 mètres du centre de détention, était, contrairement aux rapports de presse, un islamiste syro-palestinien appartenant au groupe palestinien de Fateh-Intifada», assure un officier des forces d’élite, sous couvert d’anonymat. Fateh-Intifada est une organisation palestinienne radicale pro-syrienne, basée à Damas.
L’islamiste, arrêté le 24 novembre 2006, était accusé d’avoir participé à la planification d’attaques visant à la déstabilisation de la situation au Liban-Sud en violation à la résolution 1701, adoptée par l’Onu en août 2006. En décembre 2006, des roquettes de type Katioucha avaient été lancées à partir du Sud en direction d’Israël. L’attaque était revendiquée par Abou Mossaab al-Zarqawi, le responsable d’al-Qaïda en Irak, tué, depuis, par l’armée américaine.
Pour les soldats des forces spéciales libanaises, chargés de la chasse à l’homme, la capture de l’évadé est une question de première importance. «La plupart d’entre nous avons reçu, le jour même, les appels angoissés des familles de soldats ayant perdu la vie dans la guerre de Nahr al-Bared. Ils s’inquiétaient; cette évasion leur rappelait de bien mauvais souvenirs», raconte l’officier.
En effet, en 2007, plus de 170 officiers et soldats libanais avaient trouvé la mort lors de violents combats ayant opposé l’armée à la mouvance terroriste de Fateh al-islam dans le camp palestinien de Nahr al-Bared.

Draps noués

Dès que l’alerte est donnée, près de 250 hommes escaladent les collines environnant la maison carcérale, à la recherche de Taha Hajji Sleiman. «Nous avions pourtant averti les responsables de la prison de la possibilité d’une telle évasion, selon des renseignements communiqués par l’un de nos indicateurs, quatre jours avant l’incident», signale la source.
Les prisonniers avaient soigneusement préparé leur coup. Une scie avait été introduite dans un Coran envoyé par des proches. «Elle leur a permis de scier, durant trois jours, les barreaux de leur fenêtre, tout en les gardant légèrement attachés grâce à une sorte de pâte, afin de tromper la vigilance des gardes qui se préoccupent surtout de faire le compte des détenus à la fin de la journée, sans vraiment surveiller leurs activités», commente la source.
Le mardi, à l’aube, les huit prisonniers s’échappent, d’abord, de leur cellule, située au troisième étage, en nouant bout à bout des draps attachés à une sorte de crochet en fer. «Ils lancent, par la suite, la tige en fer reliée aux draps, par-dessus le mur extérieur, ce qui permet à Hajji Sleiman d’escalader en premier l’enceinte et de rejoindre les bois», explique la source. Son comparse, qui n’est pas aussi chanceux, se blesse dans sa chute, lorsque les draps, cédant sous son poids, se déchirent, coupant ainsi court à l’escapade des sept autres prisonniers.
Les cris de douleur du détenu ameutent les gardes qui s’aperçoivent de la fuite de Hajji Sleiman et préviennent le commandement central.
Une fois arrivées, les Forces de sécurité intérieure (FSI) et l’armée ratissent les bois environnant la prison de Roumié. «C’est un terrain que les soldats des corps d’élite connaissent bien, ayant suivi de nombreux entraînements dans la région», se remémore l’officier qui rappelle que la principale caserne des commandos de l’armée (les maghawir) se trouvent à Roumié.
Les FSI se chargent des routes, et l’armée des bois. «Les soldats ont tendu des embuscades dans la forêt, où ils ont également dormi, afin de tenter d’entraver les déplacements du fuyard», précise la source. Ce dernier aurait, semble-t-il, passé la nuit perché dans les arbres, afin d’échapper aux soldats lancés à sa poursuite.
Les forces de l’ordre tentent de retracer les pas de l’évadé en ayant recours à des chiens policiers, mais en vain. Hajji Sleiman, tout comme les autres prisonniers, avait rempli ses chaussures de sachets d’épices, afin de tromper l’odorat des chiens, lancés à ses trousses. «Il s’était également muni de dattes, lui permettant de survivre à son séjour dans les bois», ajoute la source.
En fin de journée, le malaise règne au sein de la troupe, après une rumeur selon laquelle l’évadé aurait été aperçu dans l’un des camps palestiniens.
L’angoisse ne dure, cependant, pas longtemps. Le lendemain matin, le conducteur d’une camionnette informe une patrouille avoir aperçu un homme, vêtu de noir, traverser la route en courant, dans la région de Bsalim, à une distance de sept kilomètres de la prison.
Les unités de l’armée se dirigent vers l’emplacement indiqué par le conducteur et procèdent à une fouille minutieuse des bois. «Nous avons soudain entendu un éternuement provenant des arbrisseaux en contrebas de la route», se remémore l’officier. Hajji Sleiman, qui se cachait dans un fourré, est alors capturé par les soldats. Prétendant être un travailleur syrien, il cède, par la suite, aux pressions et avoue son identité réelle.
Pour les forces spéciales, c’est le soulagement. Le souvenir de Nahr al-Bared s’estompe à la vue des remparts de la prison de Roumié qui se profilent à l’horizon. ( Publié dans Magazine)

Thursday, September 3, 2009

Fateh al-islam veut renaître de ses cendres


Des ruines du camp palestinien tripolitain de Nahr alBared, détruit en 2007 par l’armée à la suite de violents combats avec la mouvance islamiste de Fateh alislam, émerge un nouveau groupuscule terroriste regroupant des nationaux arabes, des Palestiniens et des Libanais.
Le 22 juillet, le procureur militaire inculpait 17 personnes pour avoir formé un groupe armé accusé de fomenter des attaques terroristes contre des responsables politiques, des civils et l’Armée libanaise. La page de Nahr alBared ne semble pas tournée, puisque certains membres de cette cellule islamiste appartenaient au groupe de Fateh alislam, vaincu par la troupe en septembre 2007. «Cette mouvance aurait planifié des opérations visant l’armée, la Finul ainsi que des figures politiques comme Nader Hariri (conseiller du Premier ministre désigné, Saad Hariri) et le député Sami Gemayel du parti Kataëb», affirme une source appartenant aux services de renseignements libanais. D’anciens jihadistes «La franchise alQaïda», c’est ainsi que ces nouveaux groupes sont définis. Ils adhèrent à l’idéologie d’Oussama Ben Laden, dont le mouvement n’a toutefois jamais directement revendiqué d’attentats terroristes au Liban. Ces groupuscules sont souvent dirigés et financés par des cheikhs provenant des pays arabes, mais c’est un Syrien, Munjid elFahham, qui cette fois est arrêté à l’aéroport de Beyrouth. «Les hommes de main étrangers sont recrutés parmi les anciens combattants arabes ayant fait leurs armes en Irak, en Tchétchénie ou en Afghanistan. Ils pénètrent dans le pays par les frontières libano syriennes poreuses, comme celle de la région de Qoussaya, dans la Békaa», commente la source. Qoussaya abrite une base militaire du Front populaire pour la libération de la Palestine Commandementgénéral (FPLPCG), une organisation prosyrienne dirigée par Ahmad Jibril. «Les étrangers appartenant à la cellule étaient sous surveillance dans leur pays d’origine, et nous avons été informés de leur arrivée à Beyrouth par les services de renseignements arabes, européens ou amé ricains, selon les cas». D’autres membres sont enrôlés localement parmi les Libanais ou les factions palestiniennes qui émanent, dans ce cas précis, de groupuscules palestiniens préconisant une interpré tation radicale de l’islam, comme Jund alCham, Fateh alislam ou Osbat alansar. Près de quatre membres de la cellule démantelée par l’armée seraient des réfugiés palestiniens, arrê tés dans les camps de Chatila, à Beyrouth, et de Aïn alHelwé, dans le Sud. AbdelGhani Ali Jawhar, AbdelRahman Awad et Oussama Amine Chéhabi seraient toujours en fuite. «Awad serait le nouvel émir de Fateh alislam, alors que Jawhar s’est fait un nom après les attentats commis contre l’armée à Tripoli en 2008», précise la source. Un autre Palestinien, un dénommé Hamad, est pointé du doigt par l’armée pour avoir participé à la planification des attentats. Il aurait rencontré Jawhar en juin pour discuter de leur mission, dans le quartier de Bramiyé, à Saïda. Le nom de Hamad est récurrent dans les annales des services de renseignements, puisqu’un Palestinien portant le même nom est, selon la presse, accusé en janvier d’avoir formé le Jihad pour la victoire de Gaza, une faction soupçonnée d’avoir voulu attaquer l’ambassade d’Egypte à Beyrouth, accusations dont Hamad s’était défendu lors d’une précédente entrevue avec Magazine. «La cellule terroriste démantelée aurait utilisé une femme de la famille Moghrabi pour passer des mes sages et de l’argent aux membres du groupe», explique la source. Ce n’est pas la première fois que des terroristes se servent de «passeurs» à l’allure inoffensive: en 2008, lors de l’attentat contre l’Armée libanaise à Tripoli, ils avaient eu recours à des enfants d’une dizaine d’années pour transporter les explo sifs. MONA ALAMI
DES GROUPES MANIPULÉS Une source militaire bien informée affirme que la dernière cellule islamiste «a pu être appréhendée car, pour le moment, la situation ne se prête pas à l’instabilité sécuritaire». Mais dans la plupart des cas, ces groupes sont manipulés par certains mouvements politiques».(Publié dans Magazine-Août09)

Wednesday, September 2, 2009

L’affaire Youssef Chaaban

Accusé de l’assassinat du premier secrétaire de l’ambassade de Jordanie au Liban dans les années 90, un meurtre dont il n’était pas coupable, Youssef Chaaban, gracié le lundi 13 juillet par le président Michel Sleiman, est devenu un symbole pour de nombreuses familles de détenus palestiniens dont un père, un frère ou un cousin croupissent toujours en prison sans jugement.

Le 19 octobre 1994, Chaaban était condamné à la prison à perpétuité par la Cour de Justice. Huit ans plus tard, deux personnes accusées du même crime étaient arrêtées et condamnées en Jordanie. «La Cour de Justice a refusé de réviser le procès, le jugement jordanien émanant d’une cour étrangère», explique Chaaban.
D’autres réfugiés palestiniens n’ont pas la même chance, et les familles des détenus sont nombreuses à faire la queue devant les murs de la prison de Roumié. L’établissement pénitencier, qui n’a qu’une capacité de 1400 places, abrite près de 4000 prisonniers. Adnan Kadi, un Palestinien du camp tripolitain de Beddawi, s’y rend deux à trois fois par semaine. Son frère Jihad y est détenu dans le bâtiment réservé aux membres de Fateh al-islam, la nébuleuse terroriste ayant combattu l’Armée libanaise en 2007, dans le camp de Nahr al-Bared. «Mon frère a été arrêté depuis près de quatre mois. Il est accusé, près deux ans après les événements, d’être venu en aide à des blessés du groupuscule terroriste», signale-t-il.
Pour faire le voyage jusqu’à Roumié, Adnan dépense près de 100 dollars, une fortune dans un pays où le salaire minimum est de 300 dollars. «Dieu est grand; j’ai pu me permettre cette dépense jusqu’à présent. Ce n’est cependant pas le cas pour les autres familles de prisonniers», raconte-t-il.

Manque de suivi judiciaire

Kassem Hage Ahmed a été libéré sous caution depuis près d’un mois. Cet adolescent de 17 ans a vécu près de deux ans à Roumié. «Il a été libéré en raison de son mauvais état de santé; il avait été blessé, ayant été bloqué dans le camp lors des combats. Par la suite, il a également été torturé lors des interrogatoires», déclare son père le Dr Loutfi, membre du Comité des familles des prisonniers de Nahr al-Bared. «Près d’une trentaine de réfugiés palestiniens, n’ayant jamais fait l’objet de poursuites judiciaires, sont détenus depuis la guerre de 2007», s’insurge-t-il.
Selon une source gouvernementale, le nombre de prisonniers palestiniens liés à Fateh al-islam serait de 75. «Ces individus sont détenus sur la base de l’article 108 du Code pénal qui laisse au juge la liberté des délais dans le cadre de crimes contre l’Etat», commente le docteur en droit Paul Morcos. Un délai qui, selon les règles de droit, doit cependant être raisonnable. «Dans le cas où il n’existe pas de présomptions sérieuses contre un prisonnier, l’Etat doit le libérer», explique Paul Morcos qui souligne, toutefois, la gravité des crimes liés à la guerre de Nahr al-Bared. Il ajoute que, dans de nombreux cas, cette détention arbitraire résulte d’un manque de suivi de la part des institutions judicaires. La source gouvernementale, elle, souligne la dépendance des délais de détention, de l’investigation en cours.
Mais pour les prisonniers palestiniens, la détention arbitraire, partagée par d’autres détenus de diverses nationalités, n’est pas le seul fardeau à porter, la torture étant une pratique courante. «Il y a très certainement une discrimination à l’encontre des Palestiniens; il faut cependant apprendre à allier la raison d’Etat aux droits de l’Homme», répond Morcos. Pour la source gouvernementale, il n’y a pas discrimination, puisque le traitement des prisonniers et l’application de l’article 108 sont les mêmes, quelle que soit leur nationalité.
Mais dans un pays où la politique gangrène la raison d’Etat, les détenus étrangers n’ont pas voix au chapitre, à moins de jouir d’une couverture politique. Mona Alami ( Magazine, publié le 24 -7- 2009)