Un secteur qui semblerait atteint de schizophrénie permanente. C’est sans doute la description la plus exacte que l’on pourrait faire du marché Internet au Liban, partagé entre fournisseurs légaux et illégaux. Objet de multiples scandales, liés à une corruption endémique, il pourrait également figurer dans un roman d’espionnage.
Une véritable économie parallèle caractérise le secteur Internet libanais, où les fournisseurs d’accès Internet (FAI) légaux ne représentent que la partie visible de l’iceberg. En effet, selon des spécialistes du cru, près de 50% des fournisseurs d’Internet au pays du Cèdre opéreraient tranquillement en toute illégalité.
Deux types de fournisseurs existent au Liban. Les FAI (fournisseurs d’accès Internet–ISP en anglais) constituent la passerelle indispensable pour permettre aux utilisateurs de naviguer sur Internet. Les fournisseurs d’accès de données (DSP) disposent de l’infrastructure spécialisée, nécessaire aux ISP pour relier les ordinateurs personnels et les réseaux Internes des entreprises, au réseau mondial. Ce service, qui est payant, transite par le ministère des Télécoms qui le fait facturer au prix fort, près de 3000 dollars pour chaque ligne E1(2Mbps). «Les DSP doivent également verser 20% de leurs revenus au ministère des Télécoms et seule l’Autorité régulatrice des télécoms (ART) peut leur accorder une autorisation de fréquence nécessaire pour installer et opérer un réseau radio de transmission de données servant les FAI ainsi que les banques et les grandes entreprises», assure un spécialiste du secteur.
Ces opérateurs légaux doivent cependant faire face à une âpre concurrence de la part d’une multitude d’opérateurs illégaux. «Ces derniers opèrent en amont ainsi qu’en aval», assure un autre spécialiste. En effet, des individus ou des compagnies se connectent à des lignes Internet de Turquie, de Chypre ou comme ce fût le cas pour l’antenne du Barouk, d’Israël, pays ennemi du Liban. Ce transit est généralement assuré par des liens Vsat ou radio, qui relient le Liban à ces divers pays.
Dans les camps palestiniens
D’autres fournisseurs Internet illégaux existeraient sur le marché local. Ainsi selon le propriétaire d’un FAI libanais, des Vsat auraient été installés dans certains camps palestiniens, à la périphérie de Beyrouth et Tripoli. Les enclaves palestiniennes échappant historiquement au contrôle de l’Etat, elles seraient donc impossibles à démanteler. «Dans ce cas particulier, les FAI ayant recours à ce type de connexion évitent de faire transiter des informations sensibles en raison du risque évident que cela pourrait poser. Elles y font donc appel pour ce qui est des activités de navigation du net», ajoute un informaticien.
Ces gros opérateurs dominant le marché en amont offrent leurs services aux distributeurs illégaux des diverses régions, qui les revendent à leur tour à des préposés ou des compagnies fournissant généralement ce service en jumelage avec celui de la télévision satellite.
Ce scénario se répète au plus bas de l’échelle du système, les petits fournisseurs obtenant également la protection des politiques, à qui ils verseraient une redevance, généralement par le biais des partis régnant dans leurs quartiers.
Ces entreprises illégales sont ainsi bien plus compétitives que les opérateurs légaux, puisqu’elles achètent leur Internet moins cher, ne versent ni une partie de leurs revenus ni la TVA à l’Etat. Les liens Vsat piratés coûtent 1000 dollars de moins que le E1 obtenu à travers l’Etat, alors que les liens radios avec la Turquie sont en général estimés à 600 dollars par mois par E1. Les équipements utilisés par ces compagnies sont également passés en contrebande par terre ou par mer, ce qui les exempte de taxes de douane.
«Quelque part, l’Etat a levé la barre tellement haut en fixant les E1 à des prix exorbitants qu’il encourage indirectement l’essor d’un marché parallèle», signale un troisième spécialiste du secteur. Tous les grands acteurs du marché Internet sont coupables du même crime, accuse un des spécialistes interviewés par Magazine. En effet, même certains FAI légaux qui opèrent de manière mensuelle se fournissent souvent auprès des opérateurs illégaux, à qui ils achètent leur surplus.
Complicités politiques
Mais comment ces FAI illégaux peuvent-ils opérer en toute impunité? Sans exception aucune, tous les spécialistes interviewés par Magazine pointent un doigt accusateur vers les politiques libanais. Un certain nombre d’entre eux également actionnaire de FAI légaux considère le marché illégal comme une source de revenus importants. Dans la plupart des cas, s’accordent à dire les spécialistes, ils s’associent aux opérateurs illégaux en leur conférant l’immunité. «Personne ne peut s’aventurer dans ce marché sans obtenir la protection d’une faction politique ou d’une autre», murmure-t-on. Ainsi, la FAI impliquée dans la fameuse antenne du Barouk, qui obtenait de l’Internet bon marché d’Israël, aurait reçu la protection de nombreux hommes forts de l’époque entre la période allant de 2006 à 2009. «Cela ne veut toutefois pas dire que ces politiques aient nécessairement eu vent de la provenance de cet Internet illégal», tempère le directeur d’une FAI. L’information n’aurait certainement circulé qu’après une certaine période de temps, des plages IP provenant de Tel-Aviv ayant paru chez certains FAI. Dans le cas de l’antenne du Barouk, une entreprise légale n’ayant jamais activé la licence fournie par la ART, aurait fourni de l’Internet à la présidence de la République. «Les administrations gouvernementales impliquées dans ce scandale n’ont pas contrôlé les licences de leurs fournisseurs», remarque-t-on.
Un laisser-aller qui en dit long sur l’approche de l’Etat: «Il suffirait tout simplement de vérifier les revenus et le débit Internet des entreprises en les comparant à la capacité des E1 qui leur ont été octroyés par le ministère des Télécoms pour déceler toute opération de malversation», signale-t-on. Mona Alami pour Magazine
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
No comments:
Post a Comment