Dans la course à l’or noir, le Liban se trouve à la traîne. La découverte d’importants gisements de gaz au large d’Israël ne semble pas presser outre-mesure le Liban dont la classe politique est une fois de plus divisée sur la manière de traiter cette éventuelle manne venue de la mer. Une richesse qui est également convoitée par l’Etat hébreu.
«L’existence de nappes gazières et de pétrole au large du littoral libanais a été mise en évidence par les travaux du professeur Thomas Guédiquet de l’Université américaine de Beyrouth dès 1969! Près de quarante ans plus tard, rien n’a été fait sur ce plan là, c’est l’inertie totale», s’indigne le géologue Gilbert el-Kareh, chercheur et ancien professeur à l’Université Saint-Joseph et à l’Université libanaise.
Le débat a été lancé la semaine passée par le président du Parlement Nabih Berry qui a insisté pour que Liban exploite son potentiel en gaz. Le chef du Législatif réagissait à l’annonce de la découverte par la société Nobel Energy d’une seconde nappe de gaz, qualifiée comme la plus importante par l’Etat hébreu. Israël dispose aujourd’hui des gisements de Tamar et de Léviathan, possédant ensemble un potentiel de 900 milliards de mètres cubes. Nabih Berry avait déclaré que «le Liban devait immédiatement prendre des mesures pour défendre ses droits non seulement financiers, mais également économiques, politiques et souverains.
Résultats prometteurs
Dès 2001, sous le mandat du Premier ministre assassiné Rafic Hariri, le précédent gouvernement avait ordonné un balayage sismique des fonds marins libanais. «Les résultats étaient déjà prometteurs», explique le Dr Mazen Hanna, le conseiller du Premier ministre Saad Hariri. Deux compagnies étrangères Spectrum et Petroleum Geo-Services (PGS) avaient alors procédé à ces prélèvements, respectivement en 2002 et 2006. Ces études sismiques géologiques ont révélé la présence possible de gaz et de pétrole. Cette étude n’a toutefois qu’une valeur indicative car seul le forage offshore pourrait confirmer ou infirmer la présence de pétrole ou de gaz naturel dans les fonds marins. «Les résultats (en 2D) combinés avec ceux en 3D précédemment acquis par PGS, ont identifié de nombreux indicateurs associés à la présence d’hydrocarbures. Ceux-ci confirment l’extension d’un système pétrolier actif au large des côtes du Liban», signale le site de PGS.
Un rapport de l’USGS (US Geological Survey) soumis par Magazine au professeur Kareh, estime le potentiel au large des eaux libanaises, plus précisément dans le secteur du Levant Basin Province, à près de 608 millions de barils de pétrole, de 44560 de pieds cubiques de gaz et 1107 millions de barils de gaz naturel liquide. «Il faut toutefois souligner que cette approximation est très grossière. Ces estimations doivent être interprétées avec la plus grande précaution», précise le professeur.
«Depuis 2007, nous œuvrons pour l’établissement et l’élaboration d’une politique ainsi que d’un cadre légal pour l’exploitation des hydrocarbures», explique Wissam Zahabi, conseiller du gouvernement au secteur de l’énergie. «Nous avons élaboré un projet de loi qui a déjà été discuté en deux comités, il devrait être voté cette année», déclare Zahabi. Le comité en charge du dossier est composé des ministres de l’Energie, des Finances, de la Justice, de l’Economie, de la Santé, de l’Environnement, des Affaires étrangères et des Réformes, sous la direction du Premier ministre. Le projet de loi institue un cadre légal pour l’exploration et la prospection des hydrocarbures au Liban ainsi que le partage des revenus potentiels qui en sont issus. Ce cadre légal servirait également de base pour l’accord sur l’exploration et la production des hydrocarbures, Exploration Production Agreement (EPA).
Administration spéciale
«Nous allons également créer une administration spéciale chargée de gérer cette activité et composée uniquement de technocrates et de spécialistes. Le projet de loi régule le processus d’attribution des licences, devant être accordées à des consortiums comportant un minimum de trois compagnies, ce qui permet au final d’étaler les risques», signale Zahabi. La création d’un fond souverain permettant de placer et de gérer les revenus pétroliers du type de celui adopté par la Norvège est également prévue par ce projet de loi, insiste Hanna.
Trois compagnies pétrolières seraient intéressées par le potentiel gazeux libanais, notamment Shell et Total, commente une source qui a préféré garder l’anonymat.
Deux problèmes se posent toutefois. «Le premier est que le Liban, dû à l’absence d’une infrastructure pétrolière, se trouve particulièrement désavantagé par rapport à d’autres pays. Il doit tout construire, ce qui va entraîner des coûts énormes», met en exergue Saad Merhej, expert et directeur générale de BB Energy, une compagnie de pétrole locale. Ce dernier explique également que les compagnies ne seront donc pas prêtes à investir massivement dans le secteur de l’énergie sans s’assurer au préalable de l’importance des réserves. «Le forage aura certainement lieu à des profondeurs dépassant les 1500 mètres, les investissements seront donc sans doute de l’ordre de plusieurs milliards de dollars. Des telles sommes seraient difficilement garanties à moins d’une contrepartie financière considérable», dixit Merhej.
Un autre problème majeur réside dans la délimitation des eaux territoriales libanaises et surtout de la Zone économique exclusive (ZEE), située au-delà de la mer territoriale et sur laquelle l’Etat côtier possède des droits souverains, d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins et de leur sous-sol.
«Alors que les eaux territoriales s’étendent sur 12 milles marins, la ZEE couvre une distance de 200 milles marins, soit 370 kilomètres au large de la côte libanaise», souligne le professeur Kareh. «Mais au demeurant, cette zone doit être d’abord définie, cette délimitation devant être par la suite soumise pour approbation aux instances internationales. Dans le cas où Israël repèrerait sa ZEE avant le Liban, ce dernier dispose d’une période déterminée, après laquelle il perdrait tout droit sur les fonds contestés», s’insurge le professeur Kareh.
Une commission composée de l’armée, du ministère des Affaires étrangères, du Conseil national des recherches scientifiques et de la Direction du transport maritime a été chargée de délimiter les frontières maritimes avant d’en informer les Nations unies. «Pour ce qui est de la ZEE, nous sommes déjà en accord avec Chypre. Nous devons nous réunir prochainement avec la Syrie. Pour Israël, cela se fera de manière unilatérale, lorsque le rapport sera soumis aux Nations unies, sans aucun doute d’ici la fin de l’année», dit Zahabi, se voulant rassurant.
Le danger réside donc dans la possibilité que les énormes réserves de gaz offshore revendiquées par Israël s’étendent dans la ZEE du Liban. «La soumission de notre ZEE aux instances internationales est indispensable en cas de contentieux. Il est primordial d’établir la souveraineté du Liban sur les fonds marins pour attirer les compagnies pétrolières et favoriser leur exploration. Le cadre légal doit être défini et la stabilité politique assurée. Le Liban doit donc absolument se presser et surtout adopter une politique unifiée qui aurait l’aval de toutes les factions», conclut le professeur Kareh.
La mésentente affichée cette semaine au Parlement entre deux projets de lois rivaux régissant le secteur des hydrocarbures, l’un émis par les députés, l’autre par le gouvernement, laisse planer le doute quant à la prise de conscience de la classe politique en ce qui concerne ses responsabilités. Mona Alami pour Magazine
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