Abou Ghurair (al Traboulsi)
est un jeune trentenaire portant la longue barbe des islamistes. Ce nom est un
pseudonyme, lui permettant de protéger son anonymat. « Je ne suis pas un
salafiste, juste un musulman pratiquant », se défend-il, une fois
l’entrevue amorcée.
La révolution syrienne et la
guerre civile qui s’en est ensuivie, a permis de raviver le flambeau des
mouvances islamistes radicales comme celles d’Al-Qaeda et des autres salafistes
djihadistes. Vendredi dernier, près de
22 djihadistes ont trouvé la mort dans les environs de Tell Kalakh en Syrie.
Les combattants seraient tombés dans une embuscade dressée par l’armée
syrienne. Seule l’identité de cinq personnes dont Malek al-Hajj Dib, 23 ans,
Abdul Karim Ibrahim, 18 ans, Abdul Rahman al-Hasan, 22 ans, Youssef Abou Arida,
26 ans, and Bilal Khodr al-Ghoul, 22 ans aurait été confirmée. A l’instar de
ces derniers, Aby Ghurair a grandi dans les quartiers populaires de Tripoli. Il
ne rêve, aujourd’hui, que de rejoindre une fois de plus ses compagnons de jihad
avec lesquels il a, trois mois durant cette année, mené la « guerre sainte »
en Syrie. Contre quels ennemis ? « L’Iran et ses partisans, ceux qui
épousent la théorie de ‘Wilayat al Fakih’ dans le monde arabe, comme le
Hezbollah », explique-t-il sur un ton prosaïque. La wilayat al-fakih
désigne, en langue persane, la tutelle du guide suprême iranien. « La vie
sur terre ne tient qu’à un fil et ce qui compte à mes yeux, c’est la vie
dans l’au-delà, le jihad, la guerre sainte me la garantiront, je l’espère de tout cœur », assure-t-il.
Quels sont les raisons qui
propulsent les sunnites musulmans
libanais sur le chemin du jihad en Syrie ? « De très nombreux facteurs
jouent sans aucun doute, comme notamment le chômage, la pauvreté et le sentiment de désillusion
qu’un grand nombre d’entre nous éprouve, en nous poussant à rechercher quelque part une
certaine forme de justice », ajoute Abou Ghurair.
D’autres considérations
émanent du vécu des habitants de
Tripoli. Le père de Abou Ghurair a ainsi été torturé par l’armée syrienne dans
les années 80 ; aux yeux du djihadiste, il est donc tout à fait normal que
les sunnites libanais ayant eu une telle expérience, éprouvent un désir de vengeance. Le jeune homme
cite à titre d’exemple, le parcours d’une veuve du village de Ersal, Oum
Hussein, dont le mari et le fils auraient été tués par l’armée syrienne lors de
l’occupation du Liban de 1976 â 2005, et qui se serait ainsi jointe aux combattants
en Syrie. Elle dirigerait aujourd’hui une brigade de près de 500 combattants
dans les alentours d’Alep.
Le conflit ouvert entre l’Iran,
chiite, et les pays du Golf, sunnites, se répercutant sur les communautés sunnites
et chiites au Liban ne ferait qu’attiser la colère des sunnites libanais.
« La politique du Hezbollah envers les sunnites au Liban est vécue comme
une humiliation par tous. La seule façon
d’y mettre fin c’est de renverser (le
président syrien Hafez) Assad. La Syrie est devenue aujourd’hui le ventre mou
de cette chaîne formée par la ‘wilayat al fakih’ qui s’étend depuis l’Iran, L’Irak, la Syrie jusqu’au Liban.
Renverser Assad, c’est la briser », assène-t-il.
C’est en compagnie d’une
trentaine de combattants que Abou Ghurair
a fait le voyage du Liban jusqu’à la région syrienne de Kousseir, traversant la
frontière entre les deux pays. « Le passage de la frontière du côté Libanais
c’est fait en toute facilité, mais côté syrien, nous avons essuyé une attaque
de l’Armée Syrienne ; l’Armée de Syrie Libre (ASL), avertie de notre
arrivée est cependant venue à notre
rescousse, nous n’avons perdu qu’un seul martyr lors des combats», explique-t-il
avec détachement.
Le groupe formé par des Libanais,
ayant passé ce jour-là la frontière comprenait des hommes de 12 à 30 ans. « L’armée
de Syrie libre veille à la sécurité des
militants libanais, ils veulent éviter autant
que possible de faire des victimes dans nos rangs », raconte-t-il. Abou Ghurair aurait rejoint la
brigade de Abou Walid qui disposerait de près 1000 combattants. Elle mènerait
également des opérations conjointes avec les brigades al-Farouk à laquelle elle
serait affiliée. Cette dernière brigade, aux relents islamistes, opère dans
plusieurs régions notamment celle de Homs. Dans ce dernier secteur, cette unité
comprendrait près de 5000 combattants. Les deux unités seraient pour la plupart
formées de Syriens, ainsi que de nombreux Libanais, d’Irakiens, des Qataris, et
des Koweitiens, selon les témoignages de Abou Ghurair. « Ces militants
étrangers sont dans leur majorité ou bien d’origine syrienne ou mariés à des
syriennes », souligne-t-il. Le
jeune homme insiste toutefois sur le fait que le nombre d’étrangers figurant dans
la brigade de al-Farouk reste limité.
Une fois arrivés dans la
région de Kousseir, les militants libanais rejoignent les camps de l’ASL. Ils
peuvent toutefois facilement circuler dans cette région, la présence de l’armée
syrienne demeurant ponctuelle dans les villes et les villages des environs,
selon les témoignages du djihadiste. «Les forces d’Assad se sont retirés dans
les montagnes des alentours et ne font généralement que bombarder les villages, en évitant les
opérations sur le terrain en raison de leur dangerosité et du renforcement des
unités de l’ASL dans la région », commente-t-il.
La journée des combattants
débute le matin par une prière. « Tous les combattants ne s’astreignent
pas à cette coutume, certains de nos éléments ne sont pas pratiquants et donc
ne prient pas. Certains consomment même de l’alcool, nous ne nous opposons pas à
leurs habitudes. Chacun peut pratiquer sa religion comme il l’entend, ce qui compte à nos yeux c’est le combat
contre Assad », précise-t-il. Le jeune homme signale l’adhésion de
militants alaouites et chrétiens aux rangs de l’ASL. « Nous les invitons
toujours à la prière du soir, après laquelle nous procédons généralement à nos attaques
contre l’Armée syrienne, afin qu’ils aient une chance de rejoindre le paradis »,
raconte-t-il.
Ces offensives sont en règle
générale décidées par le Majlis al-choura de la brigade qui est une sorte de
conseil militaire. « Nous nous
attaquons généralement aux barrages de l’armée syrienne. Lors de mon séjour en
Syrie, autour du mois de Ramadan, mous avons fait également le siège de la municipalité
de Kousseir et de celui des services des renseignements. Près de 500 hommes de l’ASL ont ainsi combattu
400 membres des services de renseignements et des chabihas, ( milices du
régime) plusieurs jours durant. Une opération menée conjointement par les
Brigades Abou Walid et al-Farouk dont le travail a été facilité par des agents
double, n’ayant toujours pas fait défection de l’Armée Syrienne. Ces agents
double alimentent souvent les brigades en informations précieuses, notamment au
sujet des positions de l’armée syrienne ou bien provoquent des diversions au
niveau des barrages des forces du régime, afin de garantir à l’ASL un succès
militaire.
Mais que fait l’ASL des prisonniers
faits lors des combats ? Selon Abou Ghurair, ils commencent par subir un
interrogatoire. « L’ASL possède une structure en tous points similaires à
celle de l’armée syrienne, elle comprend des membres
des services de renseignements rompus aux techniques d’interrogation », signale-t-il.
Les prisonniers ayant admis leur implication dans des massacres de civils ou de
membres de l’ASL sont mis à mort. « Nous réservons un traitement spécial
aux membres du Hezbollah participant aux combats auprès des Forces du régime et
que nous capturons vivant. Nous les lynchons ou les brûlons »,
commente-t-il laconiquement.
Selon Abou Ghurair près de 18
chiites libanais, appartenant au Hezbollah, auraient ainsi trouvé la mort lors
de son séjour en Syrie. Certains d’entre eux auraient admis avant leur mise à
mort, avoir répondu à une Fatwa émise par le numéro deux du parti, Naim Kassem.
Une information que Magazine n’est pas en mesure d’infirmer ou de confirmer.
Le parcours d’Abou Ghurair n’est pas unique en son genre.
De nombreux Libanais ainsi que des réfugiés palestiniens provenant des camps libanais,
prennent le chemin de la Syrie, afin de rejoindre l’insurrection, dans une
bataille interprétée par les plus radicaux comme celle du Jugement dernier. Pendant
des mois, l'opposition syrienne en exil et les occidentaux ont refusé de reconnaître
la présence croissante des djihadistes et autres salafistes au sein de la
révolution syrienne. Selon un article paru dans le Figaro, quelques 2000
combattants étrangers se seraient infiltrés en Syrie depuis un an. De nombreux syriens, déçus par l'impassibilité
des pays occidentaux et galvanisés par les scènes de répression choisissent
donc le chemin de la guerre sainte. En
Syrie, la fiction a de plus en plus de mal à résister à la réalité. ( Mona Alami pour Magazine)
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