Friday, February 19, 2010
Contestation chez les Druzes
Un malaise de plus en plus palpable s’est installé dans la communauté druze depuis le désaveu par son chef, Walid Joumblat, du mouvement indépendantiste du 14 Mars, et son rapprochement avec le Hezbollah et la Syrie.
Le linge se lave en famille, mais, ce soir à Aley, une des plus grandes agglomérations druze du Liban, la communauté raconte son « humiliation ». Pour la première fois, les membres de cette petite communauté de près de 250,000 membres livrent leur déception face au volte face spectaculaire de leur leader Walid Joumblat. Ce dernier, règne en chef incontesté sur la montagne, depuis l’assassinat de son père Kamal en 1977, par les Syriens.
En 2005, à la suite de l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri le 14 Février, un crime largement imputé à la Syrie, Joumblat prend la tête du mouvement anti-Syrien du 14 Mars dans sa révolte contre le pouvoir de Damas. Un soulèvement pacifiste qui met fin, en Avril 2005, à une occupation vieille de 30 ans. Joumblat, alors sûr du soutien américano-européen multiplie les invectives à l’encontre des hommes forts de Damas et de leurs alliés libanais dont le Hezbollah.
« Nous étions plein de fierté de voir notre leader s’imposer dans ce combat viscéral contre la Syrie, préservant notre indépendance et pavant la voie à l’établissement d’un état fort », raconte Naji Alamé, un ancien combattant druze ayant participé à la guerre de 83 entre Druzes et Chrétiens.
Pour un membre de Parti Socialiste Progressiste- PSP- (dirigé par Joumblat), le mouvement du 14 Mars était une sorte d’assurance-vie protégeant la communauté et sa descendance, cette minorité ne pouvant survivre qu’à l’ombre d’un état séculier.
Ce 14 février 2010, près de cinq ans après le rassemblement monstre du 14 mars durant lequel 1,5 millions de personnes ont scandé « la Syrie dehors », le chef du PSP visite la tombe du premier ministre assassiné, Place des Martyrs, prenant rapidement congé, contrairement à son habitude, en laissant derrière lui, son fils et ses ministres Akram Chehayeb et Wael Abou Faour. « Nous n’avons pas été mobilisés pour participer à la manifestation contrairement aux années précédentes», signale un membre du PSP. Une voiture circulant à Aley avec des posters de Rafic Hariri aurait même été interceptée par la police municipale, proche du PSP.
Certains milieux druzes influents jugent la désaffection de Joumblat, prévisible. « Sa visite au tombeau de Hariri fut une formalité, faite uniquement pour rassurer Saad Hariri( l’actuel premier ministre libanais), qui serait un grand pourvoyeur de fonds pour les œuvres caritatives de la famille Joumblat soutenant les Cèdres du Chouf et le festival de Beiteddine», murmure-t-on.
« Joumblat n’a pas été le grand absent de la Place des Martyrs, il a tout simplement fait son devoir d’amitié envers Rafic Hariri et son fils Saad, sans plus », répond le député et ancien ministre Marwan Hamadé. Cela n’était une surprise pour personne, puisque les prémices de cette participation dans sa forme et ses limites étaient apparues progressivement depuis le 7 juin 2009, c'est-à-dire au soir des élections législatives», assure le député. Ce dernier reconnait que la mouvance du 14 Mars, qui s’était habituée à la présence active de Joumblat, a sans doute été déçue de ne pas l’entendre à la tribune. Joumblat aurait donc tourné la page du 14 Mars sans pour autant en renier les acquis, au nombre desquels figurent le tribunal spécial pour le Liban, l’instauration de relations diplomatiques avec la Syrie, la formation du cabinet d’union nationale ainsi que l’apaisement relatif du climat confessionnel.
« Ce bouleversement », ajoute Hamadé en commentant la position de Joumblat, «laisse évidemment des blessures dans les esprits et des perturbations dans les équilibres politiques. Mais il faut comprendre Joumblat : j’ai vécu avec lui la première épreuve de Mai- Juin 77- après l’assassinat de son père Kamal- lorsqu’il décidât, pour des raisons liées à la sécurité de la montagne et la survie de ce qui restait de la gauche libanaise, de prendre le chemin de Damas. Je le comprends sur le fond. Sur la forme, si je trouve à redire, c’est à lui que je m’adresserais », ajoute le député.
Tarek Radwan, un habitant de Aley s’indigne de la position délicate dans laquelle les Druzes se trouvent aujourd’hui. « Nous ne sommes plus des interlocuteurs crédibles aux yeux des autres communautés. Joumblat a commencé par s’attaquer aux chrétiens qu’il a qualifiés de « mauvaise graine ». Il se met maintenant à dos la communauté sunnite », s’insurge le jeune homme.
Sa femme, Suzanne, une inconditionnelle du leader druze, se demande cependant, où était passé son vote, en faisant référence à l’opposition affichée par le PSP contre le Hezbollah, accusé d’être un état dans l’état, lors des élections législatives de 2009.
« Le Hezbollah n’a même pas présenté des excuses pour les événements du 7 Mai. Nous avons perdu de nombreux jeunes lors des combats de Choueifat, alors que d’autres à l’instar de Bachir Chehayeh, Majd Zahalan et Rabih Mrad étaient kidnappés ici même à Aley », se souvient ce membre du PSP. Le 7 Mai le Hezbollah a tenté d’investir les régions druzes de Aley Choueifat et du Chouf, ainsi que la ville de Beyrouth, attaque ayant mené à des batailles entre les deux camps. D’autres tels M. Radwan ne comprennent pas la position jusqu’au-boutiste de Walid Joumblat. « La réconciliation était sans doute nécessaire, mais les concessions accordées par Joumblat au Hezbollah et à la Syrie n’ont pas été réciproques, il ne fallait pas pour autant se mettre à genoux », signale-t-il, en faisant allusion au retard dans le rendez-vous demandé par Joumblat en Syrie, étape qui permettrait de clore le chapitre de la réconciliation.
Certains comme Wael Hassan croient à un calcul de la part du leader Druze. « Joumblat a choisi de se tourner vers le centre, position tout à fait honorable. Il a choisi le chemin de la réconciliation en faisant il est vrai certaines concessions. Mais si elles ne sont pas accompagnées par des gestes conciliants de la part de l’autre bord, Joumblat reviendrait sans doute à ses positions antérieures », explique-t-il.
Certains milieux influents druzes ne se montrent pas aussi compréhensifs. Ils parlent d’un véritable sentiment d’humiliation qui porterait sur la forme même des nouvelles positions affichées, d’autres politiciens avant Joumblat ayant opéré des rajustements politiques douloureux sans aller aussi loin dans les concessions. « Les Druzes qui s’opposent à cette volte-face ne veulent pas d’un Walid Joumblat humilié, car son humiliation les affecte personnellement, en raison du fort sentiment clanique qui règne dans la communauté et de son identification au Zaim ou au Bey », estime-t-on.
Ce sentiment entraîne un manque de confiance dans la vision de leur chef, vision jugée infaillible, Joumblat étant souvent décrit par ses supporters comme possédant « des antennes lui permettant de percevoir l’avenir ».
« Alors qu’ils attribuaient auparavant ces retournements à la sensibilité à fleur de peau de Joumblat, ils se demandent aujourd’hui s’ils ne se s’étaient tout simplement pas trompés, c’est un vrai dilemme pour tout le monde », confie-t-on.
Le malaise des Druzes se ressentirait jusque dans les réunions du PSP, bastion de la famille Joumblat. « Les réunions ayant eu lieu la semaine passée à Aley, n’ont rassemblé que quelques dizaines de participants alors que plus d’une centaine y étaient conviés », dixit le membre du PSP.
M. Alamé estime que de nombreux Druzes ont décidé de quitter le navire piloté par Joumblat. « Nous ne sommes pas des moutons », s’indigne le membre du PSP qui ajoute que pour la première fois la communauté a violemment contesté les prises de positions de Joumblat.
« Walid Joumblat a lui-même reconnu l’existence d’un malaise mais la configuration politique et sociale de la communauté me porte à croire qu’elle préférera préserver son unité», précise toutefois M. Hamadé.
Hamadé a lui décidé de rester fidèle au Rassemblement Démocratique tout en restant attaché au 14 Mars et « à ce qu’il représente pour une majorité des libanais et surtout pour une jeunesse qui aime cette foule bigarrée et multiconfessionnelle ayant lancé la Révolution du Cèdre ». « Le Liban peut se targuer d’être le défenseur de nos causes nationales en tête desquelles figure la Palestine. Il faut cependant que le Liban survive pour assumer son rôle qui n’est pas seulement de servir de chair à canon à tous les systèmes dictatoriaux ou intégristes de la région.
Dans un pays où le sentiment communautaire est plus fort que tout, tout nouveau danger, réel ou imaginaire, pousserait les Druzes à se ranger derrière leur leader, à moins qu’une nouvelle mouvance, moins entachée par les jeux de la politique libanaise ne prenne la relève…En espérant l’avènement d’un nouveau chef qui réponde mieux aux attentes de la communauté…
Mona Alami, Magazine du 19 Février
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