Tuesday, March 16, 2010

François Bassil, PDG de la Byblos Bank :«Nous sommes prêts à refinancer la dette»

Le Dr François Bassil, président de la Byblos Bank, l’une des plus importantes institutions financières du Liban, a fait part, récemment, des réticences du secteur bancaire à poursuivre le financement de la dette publique, déclaration qui a provoqué bien des remous. Magazine revient sur le sujet alors que l’examen du budget 2010 est à l’ordre du jour.

Q-Les banques libanaises financeraient près de 58% de la dette publique. Quel danger représente pour elles l’augmentation du risque souverain et comment se reflèterait-t-il sur leur notation dans l’éventualité d’une dégradation du contexte politique?

Les banques libanaises sont des entreprises d’intérêt public qui fonctionnent avec des dépôts publics et sont soumises à des règlementations rigides. Elles jouent donc un rôle primordial dans l’économie et nous tenons à ce que ce secteur demeure en excellente santé! Les banques ont un client majeur, l’Etat, qui est, par définition, très solvable et absorbe aujourd’hui près de 55% de leurs moyens financiers; sa santé est donc une priorité. Nous avons aujourd’hui atteint un pourcentage de crédit à l’Etat que nous ne pouvons pas dépasser. Nous sommes, toutefois, prêts à reconduire le financement de cette dette jusqu’à l’amélioration de l’état de santé de notre client. Evidemment! Une dégradation du risque souverain se répercuterait sur la dette…

Q-De nombreux économistes ont critiqué l’augmentation significative du budget 2010, critiques que vous semblez partager, notamment pour ce qui est de l’augmentation des taxes. Quels sont les points faibles de ce projet de budget? L’absence de réformes est-elle l’une des préoccupations majeures du secteur bancaire?

Nous ne disposons toujours pas de chiffres précis relatifs au budget de 2010, mais je crois savoir que l’augmentation des dépenses ordinaires est de l’ordre de 2 000 milliards de livres libanaises. L’Etat libanais doit faire un grand effort pour remédier à son déséquilibre et mettre fin à la dilapidation des revenus publics. Un autre effort doit être entrepris pour réformer les finances du gouvernement, notamment par des mesures d’austérité et la rationalisation des dépenses. Dans le secteur bancaire, nous sommes prêts à financer les projets d’infrastructure d’intérêt public qui pourraient être ainsi attribués au secteur privé. Mais bien sûr il faut avant tout adopter des mesures de réforme et l’établissement d’une administration probe et active, reposant sur des organismes de contrôle efficaces. Pour ce qui est du secteur de l’électricité, le déficit de l’EDL a atteint 2 300 milliards de livres libanaises l’année passée. Les banques sont prêtes à trouver des investisseurs et à lever les deux ou trois milliards de dollars nécessaires à la refonte du secteur, je n’utilise pas le mot privatisation dans ce cas, mais de concession, type BOT (Build, Operate, Transfer) avec des actifs qui reviendraient à l’Etat après une certaine période. Le gouvernement s’obstine cependant à investir directement, en attendant de voir plus tard! Je crois que près de 80% des Libanais sont en mesure de faire face à une augmentation des coûts de l’électricité, d’autant que la plupart d’entre eux ont recours à des distributeurs privés. Mis à part le secteur de l’électricité, des économies doivent être réalisées au niveau des différents ministères. En 2009, les recettes totales ont connu une croissance de 25%, rapidement absorbée par l’augmentation des dépenses. La hausse des impôts est évidemment destinée à éviter une aggravation de la dette mais nous sommes d’avis que les dépenses ne doivent pas être augmentées, mais rationnalisées.

Q-Le Premier ministre Saad Hariri a inscrit dans le budget 2010 de nombreux projets de développement, ce qui contribue en partie à gonfler le déficit, estimé à quatre milliards de dollars. Vous avez fait part des réticences du secteur bancaire à financer ce déficit par l’achat de bons de Trésor. Quels seraient les autres outils économiques à la disposition du gouvernement?

Je suis favorable à des dépenses d’investissements mais, encore une fois, certaines réformes entreprises par l’Etat pourraient passer par le secteur privé, comme je l’ai énuméré plus haut. Et cela pour éviter d’alourdir la dette. En effet, les prêts prévus par la conférence de Paris III, bien qu’avantageux, restent tout de même des prêts.


Q-Le financement massif de la dette par les banques libanaises se répercuterait-il négativement sur leur expansion à l’étranger ainsi que sur le niveau de crédits qu’ils accorderaient aux entreprises?

Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’impact direct sur le crédit accordé aux entreprises par les banques libanaises, en raison de l’augmentation substantielle du niveau des dépôts l’année précédente, qui était de l’ordre de près de 20%, alors que les crédits au secteur privé ont connu une croissance de 14%. Il n’y a donc pas assez de projets privés, notamment en raison de certains obstacles administratifs. Les trois milliards de dollars d’investissements étrangers reçus par le Liban en 2009 se sont orientés pour la plupart vers le secteur immobilier qui n’est pas un secteur producteur d’emplois. Ces investissements sont aussi très inégaux à travers les régions libanaises. Cependant, il est certain que l’excédent dont jouissent les banques libanaises, en partie grâce à la confiance de nos clients libanais et étrangers, favorise notre expansion à l’étranger et la stabilité politique va encourager les investissements étrangers au Liban.

Q-Le divorce à l’amiable du duo Audi-Hermes est-il le reflet de la politique de la Banque centrale qui verrait ainsi d’un mauvais œil toute fusion entre les banques libanaises et des institutions étrangères?

Pas nécessairement. Il est vrai que dans le cas où une société étrangère tente d’imposer sa politique de crédit à une banque libanaise, la banque centrale se doit d’intervenir, afin de protéger les intérêts des épargnants libanais. Il se peut aussi qu’un désaccord sur la stratégie d’expansion à adopter ait entrainé cette décision.

Q-De moins en moins d’opérations de fusions-acquisitions ont lieu sur le marché local qui est dominé par de grandes banques parfaitement déployées sur l’intégralité du territoire. Quelle valeur ajoutée peuvent apporter de petites institutions aux banques Alpha?

Je crois que le scénario le plus probable résiderait dans une consolidation du secteur avec des opérations de fusion entre les petites banques, ce qui permettrait une facilitation des opérations de tutelle et une plus grande concentration du secteur. Le ralentissement des opérations de fusions peut, sans doute, être attribué à la structure même des banques libanaises, pour la plupart des banques familiales, dont les propriétaires craignent une dilution de leur pouvoir. Mais un jour, il n’y aura plus de succession possible ce qui favorisera les opérations de fusion. Il devient également de plus en plus coûteux de gérer une banque, notamment pour ce qui est de l’apport des nouvelles technologies et du capital humain ainsi que du risque de gouvernance, ce qui pourrait favoriser également la tendance. Pour les banques importantes, ce type de fusion avec de petites institutions représente peu d’intérêt.

Q-La banque Byblos a récemment annoncé l’ouverture d’une nouvelle succursale à Bagdad. Quelles opportunités représente le marché irakien, toujours très instable, pour les banques libanaises?

L’Irak représente un marché extrêmement prometteur, c’est une économie considérable de près de 30 millions d’habitants qui dispose des deuxièmes réserves de pétrole au monde. Une fois sa stabilité assurée, l’Irak offrira d’énormes opportunités aux banques étrangères étant donné que le secteur reste très fractionné et sous capitalisé. Nous collaborons depuis très longtemps avec l’Irak. Nous avons ouvert une branche à Irbil et une autre à Bagdad et nous prévoyons prochainement l’ouverture de deux autres succursales, l’une dans la ville de Najaf et l’autre à Bassora. Propos recueillis par M. A. pour Magazine du 12 Mars 2010.

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