Damas
Un attentisme prudent règne en Syrie. Dans un pays où rivalisent les manifestations pro-opposition et pro-régime, une grande majorité de la population semble toujours à l’affût d’un renversement clair des rapports de forces.
«La plus grande partie de la population, soit près de 70%, éviterait pour le moment de se ranger auprès de l’une ou l’autre faction, représentées par les manifestants pro-régime et ceux pro-opposition. Ces derniers gagneraient toutefois du terrain d’une semaine à l’autre en raison de la répression qui sévit». Telle est l’analyse du sociologue et membre de l’opposition Hassan Abbas.
Depuis le 15 mars dernier, la Syrie se débat, aux prises avec des manifestations pro-opposition, réprimées dans le sang par le gouvernement, des corps de l’armée syrienne ayant pris d’assaut certaines zones de conflit, notamment limitrophes des frontières avec le Liban et la Turquie. Ces affrontements se seraient soldés par plus de 1400 morts et au moins 5000 arrestations, selon les ONG, quelque 15000 réfugiés syriens ayant fui vers la Turquie et le Liban. En outre, quelque 400 militaires auraient été tués et 1300 autres blessés.
Cette réticence populaire se refléterait jusqu’aux classes les plus riches, considérées jusqu’à présent comme les alliées inconditionnelles du régime. «Les protestataires sont divisés entre malfrats et manifestants aux revendications légitimes. Mais ceux qui manifestent n’ont pas grand-chose à perdre quelle que soit l’issue de la situation, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des Syriens. La réponse du régime est toutefois inadaptée et avec une longueur de retard», critique Salem, un jeune et richissime homme d’affaires syrien.
Le monde des affaires inquiet
L’élite syrienne éviterait les prises de position virulentes par précaution. «Les plus proches du régime se gardent bien de toute déclaration tonitruante en faveur du pouvoir, par peur de représailles», ajoute-t-il.
Rami Makhlouf, cousin germain du président syrien Bachar el-Assad et grand ponte du monde des affaires en Syrie, avait été visé ainsi que 12 autres personnalités syriennes par des sanctions de l’Union européenne. Il avait annoncé le mois passé qu’il se consacrerait aux projets caritatifs et humanitaires.
Salem préfère éviter la polémique, en attendant une sortie de crise. «Que voulez-vous que l’on fasse? Près de 70% de notre fortune est investie en Syrie, notre priorité est de préserver nos intérêts et d’éviter que notre pays ne suive l’exemple de l’Irak», dit-il.
Le régime tenterait de gagner les faveurs de ces Syriens indécis par une impressionnante campagne publicitaire s’égrenant le long des avenues et des rues de Damas, menant vers le centre-ville. Sur des affiches géantes on peut ainsi lire: «Je suis avec la justice», «Je suis avec l’Etat», «Nous sommes tous un», « Dieu te protège Damas».
Les rues d’Abou Roumané, où se trouve l’imposant bâtiment du Four Seasons, sont calmes, pas un touriste ni un soldat à l’horizon.
«Ne vous méprenez pas sur le calme apparent prévalant dans les beaux quartiers, ça bouge tous les soirs dans les banlieues», signale mon taxi, «et ça ne s’arrêtera pas».
Les routes principales seraient bloquées tous les week-ends par les forces de l’ordre. Dans le centre-ville populaire de Damas, des femmes la tête nue ou entièrement voilées font leurs courses, frôlant parfois les costumes des militaires se promenant sur l’avenue de la Révolution.
Un peuple divisé
Ici, le langage se fait moins circonspect et les tensions semblent monter. Dans une ruelle jouxtant la mosquée des Omeyyades, Elias, un marchand chrétien, observe un cortège d’hommes habillés de Salwar Kamis à la mode pakistanaise. Il s’indigne des «Arabes qui veulent manifester à chaque appel à la prière».
D’autres comme Mouheb, un vendeur de tissus, dénoncent la permission accordée par l’Etat pour la tenue d’une réunion d’opposants à Damas, la semaine passée.
Cette réunion tient de la plaisanterie. «Qu’est-ce que ces gens savent de notre pays et de ce dont nous avons besoin? Ce sont des inconscients», souligne-t-il.
La rue syrienne semble se radicaliser de plus en plus, avec une crise qui s’installe dans la durée. Les derniers indécis n’auraient plus voix au chapitre dans une révolution née de la fracture sociale entre nantis et indigents et qui pourrait basculer dans le fanatisme, par manque de réformes réelles et de dialogue. M.A pour Magazine ( Juillet)
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
No comments:
Post a Comment