Tuesday, February 16, 2010

Tripoli: La Guerre Oubliée

Deux bombes ont été découvertes la semaine passée dans le quartier de Jabal Mohsen à Tripoli. Avec la multiplication des incidents sécuritaires, la capitale du nord est sous les feux de la rampe depuis l’année 2005 et la question des armes revient sur les devants de la scène.

Tripoli fait régulièrement la une des journaux, que ce soit en raison de la guerre de Nahr el-Bared, d’attentats contre des bus transportant des militaires ou des civils, des conflits intercommunautaires entre alaouites et sunnites, ou de discordes claniques. «Avec l’incident de Deir Ammar, le mois passé, nous avons réellement l’impression que l’on tente de ternir l’image de la ville Tripoli», commente Cheikh Bilal Chaaban, chef du parti du Tawhid, proche du Hezbollah. Allusion à la fermeture de la route côtière par des habitants en colère qui protestaient contre les coupures d’électricité.
Selon cheikh Chaaban, le problème majeur auquel la ville se trouve confrontée aujourd’hui peut être attribué à la tension qui prévaut depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005, un crime imputé au régime syrien, ce qui a ravivé par des souvenirs douloureux entre sunnites et alaouites à Tripoli.

La réconciliation entre les diverses factions tripolitaines, initiée en septembre 2008 par l’actuel Premier ministre Saad Hariri et son prédécesseur Fouad Siniora, n’aurait pas engagée les grandes familles ennemies, notamment les Badawi, Kawas, Mrad et Shamra. «Ce rapprochement devrait se poursuivre, surtout depuis la réconciliation entre le Liban et la Syrie, qui s’est cristallisée par la visite du Premier ministre libanais à Damas», met en exergue cheikh Chaban.
Une opinion que partage en partie l’ancien député de Tripoli Mosbah al-Ahdab. «Le processus de réconciliation entamé l’année passée est resté incomplet puisque les armes n’ont pas été ôtées des mains des différentes factions. Le contrôle des armes devrait être uniquement l’apanage de l’Etat», ajoute le député.
A quelques kilomètres du quartier d’Abi Samra, bastion du salafisme au Liban, se dresse Jabal Mohsen, secteur attitré de la communauté alaouite. En cet après-midi, les habitants du quartier s’activent, circulant dans les rues, ou faisant quelques emplettes dans les magasins. Selon Ali, propriétaire d’une petite menuiserie, la situation sécuritaire s’est nettement améliorée depuis l’attaque aux grenades energa sur un café du coin, il y a près de deux mois. «Les habitants de Jabal Mohsen et du secteur attenant de Bab el-Tebbané (à majorité sunnite) se déplacent facilement entre les deux quartiers depuis quelques semaines», raconte Hamid, le propriétaire d’une épicerie.
Un peu plus loin, à proximité de la bifurcation menant au quartier sunnite de Qobbé, des hommes vêtus de couleurs sombres sont postés aux intersections, semblant surveiller les allées et venues des habitants.
A l’entrée de Qobbé, véritable ligne de démarcation, des immeubles calcinés, criblés de balles, témoignent de la violence des combats ayant eu lieu en 2008 entre les communautés alaouites et sunnites. Ahmad Abboud est le propriétaire d’une pharmacie, récemment rachetée à un alaouite. «Il a décidé de quitter le quartier en raison de l’instabilité qui y règne en permanence», explique-t-il. Selon le jeune pharmacien, seuls les résidents sunnites seraient restés dans ce secteur autrefois mixte, à l’exception de quelques rares familles alaouites.
«Bien que la situation se soit calmée, des conflits éclatent souvent entre des familles des deux bords, se terminant généralement en rixes ou en pare-brises fracassés. Certains en arrivent parfois à dégainer leurs armes sans toutefois tirer», déclare Khaled el-Ali, un ami de Abboud. En possession d’armes, el-Ali insiste cependant sur le fait qu’il ne s’en déferrera pas tant que les partisans de Ali Eid, l’ancien député alaouite «s’accrocheront aux leurs».
Selon une source au sein de l’armée ayant préféré conserver l’anonymat, les deux factions sunnites et alaouites disposeraient d’armes, distribuées à la rue sunnite à la suite de tiraillements entre les habitants de Bab el-Tebbané et de Jabal Mohsen, alors que les alaouites en auraient reçu de l’Armée syrienne avant son retrait du Liban. «Afin de contrôler leur partisans, les chefs des diverses factions ont interrompu le ravitaillement en munitions aux chefs de milices responsables de chaque quartier, ce qui a contribué à réduire la fréquence des conflits, sans que les armes ne soient confisquées», commente la source. Cette dernière ajoute également que le Hezbollah aurait retiré les armes des mains de certains habitants, en les rachetant au prix fort, afin de minimiser les incidents entre familles ou chefs de clans.
Une autre source, cette fois politique, a toutefois ajouté que certains chefs de milice de quartiers auraient changé de veste, abandonnant ainsi le mouvement du Futur au profit du Hezbollah. «Le Hezbollah tente de former une alliance militaire en s’associant à des chefs de quartiers jouissant d’un certain pouvoir», commente la source en citant le nom de certaines familles comme les Hussami, les Allouti et les Assouad.
Dans le secteur de Qobbé, des miliciens en tenue de combat, se détendent en jouant aux cartes. «Ce quartier est une ligne de démarcation, mon grand-père ainsi que mon cousin ont été tués par les alaouites en 1983», raconte Abou Chebab, un milicien portant la barbe typique des salafistes. Son compagnon Abou Chahid, lui, estime que toute discorde entre le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et le Premier ministre Saad Hariri ferait des victimes dans la région qui se trouverait de par son histoire, naturellement impliqué dans le conflit.
«Depuis le retour au calme, le prix de la kalachnikof a certainement baissé. Notre quartier est cependant, en moyenne tous les quatre ans, déchiré par les luttes armées, ce qui laisse présager un renouvellement des hostilités dans les deux prochaines années», ajoute Abou Chebab tout en haussant les épaules, d’un air blasé. Publié dans Magazine le 5 Février.

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