Friday, February 4, 2011

Qui seront les sortants?


Le retournement de la situation en faveur du mouvement politique du 8 mars, dominé par le Hezbollah désormais majoritaire, va se répercuter sur les postes-clés de l’Etat au niveau des institutions sécuritaires, de l’armée et du ministère de la Justice. Magazine enquête.

Quels seraient les premiers officiels à être écartés? Là est la grande question… La désignation de Najib Mikati au poste de Premier ministre, un homme d’affaires proche de la Syrie, et la formation prochaine d’un gouvernement qui se situerait dans l’axe syro-iranien sont annonciateurs d’un grand remue-ménage au sein de l’appareil de l’Etat.

La nouvelle majorité voudrait, en effet, se doter d’institutions étatiques la protégeant et permettant de neutraliser, du moins localement, l’éventuelle inculpation de certains membres du Hezbollah par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Le TSL est chargé de juger les assassins de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.

«Nous ne savons toujours pas précisément quelles seront les personnalités qui seront destituées de leurs fonctions par le nouveau gouvernement, mais certaines sont déjà dans la ligne de mire du nouveau pouvoir», admet un commandant des Forces de sécurité intérieure (FSI).

Au niveau du département de la Justice, il est certain que la nouvelle majorité voudra se débarrasser des «bêtes noires», fers de lance du mouvement anti-syrien ayant caractérisé les années 2005-2011. En tête de liste, figure le procureur général Saïd Mirza, responsable de l’inculpation des quatre généraux: Jamil Sayyed, Ali el-Hage, Moustafa Hamdan et Raymond Azar, soupçonnés (sans que cela n’ait été confirmé) d’avoir tenté de couvrir les traces des assassins du Premier ministre sunnite. Le président du Conseil d’Etat Chucri Sader, un des artisans du TSL, serait sans doute courtoisement «remercié», vu son intégrité reconnue par tous les camps. «Les cinq juges, notamment Walid Akouni, Jocelyne Tabet, Afif Chamseddine et Ralph Riachi, nommés par le Liban au sein du TSL seront probablement écartés», déclare une avocate sous couvert d’anonymat.

Les principaux postes de l’armée sont déjà, en grande partie, verrouillés par le mouvement du 8 mars. «Le commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, est proche du chef du Courant patriotique libre, Michel Aoun. Cela est également le cas pour un grand nombre de généraux au sein de la Grande Muette», signale un lieutenant-colonel de l’armée. Le directeur de la Sécurité d’Etat, un poste confié au général Araa, un grec-catholique, nommé par le président de la République devrait rester dans ses fonctions. Il en serait de même pour le responsable du Tribunal militaire, le général Nizam Khalil, proche des mouvements chiites Amal et le Hezbollah. Les candidats au poste de directeur général de la Sûreté générale, également réservé aux chiites, seraient les généraux Abbas Ibrahim (proche du Hezbollah et actuel directeur adjoint des renseignements de l’armée) et Hassan Ayoub (proche du mouvement Amal). Le chef du service des renseignements de l’armée, Edmond Fadel, nommé par l’ancien ministre Elias Murr, membre du 14 mars, devrait être évincé au profit d’un proche du général Aoun ou du général Kahwagi.


Mais l’épuration du système par le nouveau gouvernement devrait surtout toucher les FSI. Le premier qui serait concerné est Achraf Rifi, le chef des FSI, suivi du colonel Wissam el-Hassan, responsable des services de renseignement des FSI et conseiller attitré de l’ancien Premier ministre Saad Hariri. «Cet officier est perçu comme l’un des instigateurs des «faux témoins» qui accusèrent la Syrie de l’assassinat de l’ancien Premier ministre, durant les premiers mois de l’enquête», commente le commandant des FSI. Rifi partira-t-il? Sera-t-il remplacé par Hassan? Cette dernière éventualité semble peu probable. Un troisième candidat semble être en lice, le général Mounzel Ayoubi, qui aurait l’approbation du clan Hariri ainsi que celle de la Syrie, le général ayant étroitement collaboré avec le général syrien Rustom Ghazalé, ancien chef des renseignements de la Syrie au Liban.

Verrons-nous au final un remaniement d’envergure? «Tout dépend du Premier ministre et de la composition du nouveau gouvernement», ajoute la source. Le Premier ministre désigné est également confronté à un énorme dilemme. Rifi et Hassan sont tous deux originaires de Tripoli, la ville natale de Mikati, et c’est ce dernier qui avait nommé le général Rifi à la tête des FSI en 2005…

Mona Alami pour Magazine

Pas de Mohammad Bouazizi pour le Liban…


Début janvier, Mohammad Bouazizi, universitaire de 26 ans, s’immole pour protester contre les conditions de vie extrêmement difficiles en Tunisie. Au Moyen-Orient, des dizaines d’autres contestataires ont répété l’acte désespéré de Bouazizi, afin d’exprimer leur ras-le-bol face à des pouvoirs corrompus et de plus en plus déconnectés des masses. Mais qu’en est-il du Liban?

«Mohammad Bouazizi n’aurait jamais pu naître citoyen libanais», relève avec cynisme le Dr Talal Atrissi, sociologue et politologue à l’Université libanaise. En quelques jours, le jeune chômeur est devenu le symbole de la Révolution du Jasmin qui provoque le renversement de la dictature du président Zineddine Ben Ali.
«Confrontés à une telle immolation publique, les Libanais réagiraient en se demandant à quelle communauté appartenait le suicidé, et tenterait de justifier son acte désespéré en lui trouvant une explication sectaire». La mobilisation collective engage un cheminement individuel, qui va au-delà des clivages sectaires, donc inapplicable à la réalité libanaise.
La Tunisie est en feu, la mort de Bouazizi, suscite des manifestations violentes contre le régime, se propage avec rapidité de la ville natale du jeune homme, de Sidi Bouzid, vers d’autres villes. La répression policière tente en vain d’éradiquer la rébellion et fait des dizaines de morts. Mais en moins d’un mois, les révolutionnaires tunisiens parviennent à réaliser l’impossible en mettant fin à la dictature du président Ben Ali qui a duré trente ans.

A l’école de Bouazizi
Les masses arabes et africaines semblent avoir été fortement inspirées par le dernier message du jeune vendeur affiché sur Facebook et scandé par des millions de personnes. «Je pars en voyage ma mère, pardonnez-moi. Les reproches sont inutiles. Je m’en vais et ne reviendrai pas ... Les reproches sont inutiles dans ce pays où règne la trahison. Je suis malade et ne suis pas moi-même».
L’acte de Bouazizi a essentiellement trouvé un écho dans les pays partageant certaines similitudes, estime le Dr Atrissi. «Ces pays sont généralement en proie à une corruption rampante, perpétrée par l’élite au pouvoir. Ils souffrent souvent d’une grande pauvreté et d’un taux de chômage élevé. Ces dictatures laissent à leurs citoyens très peu de liberté», relève-t-il. Autre caractéristique contribuant à la formation de mouvements révolutionnaires, l’homogénéité de la société, vecteur essentiel permettant aux citoyens d’éprouver de l’empathie envers d’autres «Bouazizi» auxquels ils s’identifient.

Pourquoi le Liban y échappe-t-il?
«Le phénomène Bouazizi ne pourrait jamais rassembler les Libanais. La hiérarchie politique du pays du Cèdre repose essentiellement sur un partage du pouvoir entre plusieurs communautés, généralement gouvernées par de puissants leaders féodaux», souligne Hilal Khachan, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth. «La société libanaise est trop hétérogène. Il y existe des failles profondes tracées par les diverses communautés religieuses», ajoute-t-il.
Les événements de 2005, qui ont suivi l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, confirment cette malheureuse réalité. Le mouvement de protestation qui en découle met en exergue les limites du système libanais, le soulèvement populaire contre la domination syrienne se transformant rapidement en une profonde rivalité sectaire.

Mais à l’exception du Liban, le phénomène Bouazizi fait tache d’huile au Moyen-Orient. Les Egyptiens et les Mauritaniens sont victimes de contagion. En ce moment même, des mouvements de masse ont lieu en Egypte, contre le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis trente ans. «Ce n’est que le début d’une vague contestataire beaucoup plus large qui va déferler sur les pays arabes et africains. Ce phénomène prendra cependant un certain temps avant de se concrétiser», avance Khachan.

L’effondrement inattendu de la dictature tunisienne et la menace qui pèse en ce moment même sur le régime égyptien vont engendrer de plus en plus d’appels au changement politique. En Egypte, les confrontations entre les militants et la police se sont soldées par plus d’une centaine de morts. «La situation différera d’un pays à l’autre selon le degré de liberté dont jouissent les nationaux et le soutien qu’apporte la communauté internationale à leurs dirigeants», explique Atrissi.

Au Liban, les manifestations contre la cherté de vie, l’inflation et l’augmentation des prix des denrées alimentaires n’aboutissent que très rarement, en raison de leur manipulation par les diverses factions politiques. Une réalité qui a souvent empêché la formation et la propagation d’une réelle contestation à travers l’ensemble des communautés.

Un autre obstacle à la formation de ces mouvements au pays du Cèdre réside dans sa structure politique, le Liban étant une des rares démocraties – il est vrai quelque peu boiteuse – de la région. Ses citoyens jouissent également d’une plus grande liberté d’expression.

La Syrie et la Jordanie protégées
Les autres pays du Levant, à l’instar de la Syrie et de la Jordanie, semblent, pour le moment, être à l’abri d’un danger de sédition. «La Syrie est gouvernée par une minorité religieuse qui ne renoncera pas facilement à ses privilèges sans se livrer à une âpre bataille, à la différence du clan Ben Ali», assure le professeur Khachan. «Ce même scénario a peu de chance de se répéter en Jordanie où les rivalités internes entre citoyens trans-jordaniens et palestiniens-jordaniens sont profondes», ajoute-t-il. Lors des récentes démonstrations, organisées par des mouvements d’opposition dans le royaume hachémite, les protestataires se sont attaqués au gouvernement du Premier ministre Samir el-Rifaï, en évitant soigneusement toute critique du roi Abdallah II. Le gouvernement jordanien a, par ailleurs, répondu en annonçant un plan d’aide de 169 millions de dollars destinés à la population, à la création d’emplois et au financement du prix de certaines matières premières.
Pour Nizar Andary, professeur de filmographie et de littérature à l’université Zayed d’Abou Dhabi, les Libanais devraient commencer par se révolter contre leurs maires, les membres de leur municipalité, leurs patriarches, leurs députés et chefs de clan, «avant de s’unir en un seul front contre l’élite au pouvoir»... Mona Alami pour Magazine

Majdal Anjar: Bastion salafiste sous haute surveillance


Majdal Anjar est soumise à un véritable siège. Depuis l’agression contre un convoi de l’Armée libanaise par un résidant du village, qui a fait deux morts parmi les militaires, cette localité de la Békaa, réputée pour ses sympathies radicales, est sous haute surveillance. Au cœur des tensions, de jeunes militants.

«Les salafistes radicaux? Il y en a une trentaine résidant dans le village, principalement des jeunes aux prétentions salafistes et vouant une admiration à al-Qaïda», affirme un cheikh de la Békaa sous couvert d’anonymat. Désœuvrés, rêvant des plaines de l’Irak, ils imposent leur règne par la terreur. Certains d’entre eux s’illustrent même par des faits d’armes. En effet, en fin d’année écoulée, à la suite de la retransmission d’un documentaire sur les salafistes de la Békaa par la station émiratie el-Aan, ils s’attaquent au cheikh salafiste Adnan Oumama qui avait exprimé des critiques à leur encontre, en lui faisant exploser sa voiture.
Mais l’hostilité s’installe aux confins de vallée de la Békaa, là où s’élèvent les montagnes de l’anti-Liban, en séparant le pays du Cèdre de la Syrie. Durant le mois d’octobre, un dénommé Darwich Khanjar, un abaday (un homme fort du village), également connu pour ses tendances radicales, est appelé à la rescousse par le frère d’un déserteur, recherché par l’Armée libanaise. Selon certaines sources du village, Khanjar aurait pris d’assaut un convoi de l’armée patrouillant la région; l’attaque se solde par la mort du commandant Abdo Jasser et du sergent Ziad el-Mayss qui tombent sous une pluie de balles.

Ce n’est toutefois pas la première fois que ces jeunes militants se font remarquer. En 2008, plusieurs habitants du village suspectés d’appartenir à une mouvance radicale sont arrêtés. Au nombre de ces derniers figurent Tarek Abdel-Fattah Baydoun, un étudiant en biochimie, son frère et deux autres résidants de Majdal Anjar. Ils auraient été impliqués dans la préparation d’attentats contre les Casques bleus de l’Onu stationnés au Liban-Sud.
Les habitants accusent l’armée de laxisme. «Les forces de l’ordre n’interviennent généralement que trop tard», se plaint le cheikh. Darwich Khanjar aurait été connu des services de renseignement bien avant son attaque contre l’armée. «Il formait les adolescents au maniement des armes, en prêchant un discours fondamentaliste. On l’apercevait souvent entrant dans la mosquée du village, une arme ou des grenades accrochées à sa ceinture, mais personne ne s’est jamais interposé», souligne-t-il.
Il s’agirait d’une jeunesse sans repère, manipulée par des services de renseignement, murmure-t-on dans le village. Les habitants accusent ces mêmes services d’avoir exagéré et exploité la filière radicale lors des événements de mai 2008. A la suite des affrontements entre sunnites et chiites à Beyrouth, ces mêmes militants masqués bloquent le point de passage entre Le Liban et la Syrie en signe de protestation. «Ils ont été bien vite oubliés par leurs supporters», signale le cheikh, en faisant allusion au camp du 14 mars, alors majoritaire dans le gouvernement. Dans ce village sunnite de près de 25000 habitants, la majorité de ces derniers se veulent supporters du Courant du futur, à l’exception de quelques membres du Baas pro-syrien et du Parti syrien national social (PSNS).
D’autres personnalités du village comme Ali Abdel-Khalek, un des fondateurs avec le cheikh Ramzi Daychoum du mouvement Musulmans sans frontières, adoptent un discours plus nuancé. «La menace de ces jeunes est amplifiée par les médias. Al-Qaïda n’existe pas dans le village», dixit Abdel-Khalek. L’islamiste se dit toutefois inquiet de la trop grande pression exercée par l’armée sur les habitants du village. «Cela fait deux mois qu’ils encerclent Majdal Anjar, les habitants commencent à s’impatienter, cela ne va faire qu’aggraver la situation. Les gens des alentours se sentent en quelque sorte abandonnés et marginalisés par les autorités», observe-t-il.
Un témoignage confirmé par le cheikh qui s’exprime sous couvert d’anonymat. «Il se peut que certains de ces jeunes adhèrent à la pensée d’al-Qaïda, ils consultent sans doute les sites radicaux et s’inspirent de leurs idées, sans pour autant les mettre en œuvre. Ce mouvement n’a pas de structure dans la Békaa», insiste le cheikh.

Illusions perdues
Cette jeunesse militante pourrait-elle éventuellement s’impliquer dans les remous dont le Liban serait victime dans le cas d’une accusation du Hezbollah par le Tribunal spécial pour le Liban? «J’en doute fort pour le moment. La vague d’instabilité qui pourrait frapper le Liban, ne se répercuterait pas pour autant sur la rue salafiste», explique Abdel-Khalek.
Les habitants du village seraient sortis désabusés des événements de mai 2008 et ne seraient, selon l’analyse du cheikh, pas près de répéter l’expérience. «Je ne vois personne s’engager dans une quelconque action militaire, les gens se sentent floués et ont perdu leurs illusions», signale le cheikh. Ce dernier ajoute que les événements du camp de Nahr al-Bared, détruit par l’armée dans des combats sanglants avec le groupe radical de Fateh el-islam, auraient servi de leçon à tous les islamistes. «Ils ont compris qu’une telle situation peut entraîner des conséquences désastreuses pour toute la rue islamiste».
Le seul danger résiderait toutefois dans l’action isolée de certains individus aux sympathies fondamentalistes qui opéreraient de manière totalement indépendante. «Mais cette action serait limitée et sans grande envergure», estime le cheikh. Mona Alami pour Magazine