Wednesday, May 4, 2011

Les druzes et Joumblatt :Du malaise à la contestation?


Cheikh Druze ( Wikipedia)


Que se passe-t-il au sein de la communauté druze? Depuis le retournement spectaculaire de son chef, Walid Joumblatt, le désarroi semble s’installer dans la Montagne. Ce malaise pourrait-il s’amplifier et modifier la balance des forces et le paysage politique au sein de la communauté?

En quelques mots bien pesés, l’ancien juge, écrivain et banquier, Abbas Halabi, membre de la communauté, résume la situation politique des «Mouwahiddine», en disant tout haut ce que d’autres pensent tout bas. «Une confrontation entre les druzes et le Hezbollah reviendrait au prix fort, ce que Walid Joumblatt a voulu éviter. Cela est sage de sa part. Mais un grand nombre de druzes ne sont pas d’accord avec cette politique, percevant les dangers d’une approche trop conciliatoire envers le Hezbollah qui n’a rien changé à son discours idéologique».
Membres d’une communauté très monolithique, les druzes se sont souvent démarqués des autres religions en raison de leur allégeance sans faille à leurs familles féodales, Joumblatt et Arslan. Après l’assassinat de son père, Kamal, en 1977, Walid Joumblatt reprend les rênes de cette minorité, son autorité dominant le paysage politique, le Liban étant alors plongé en pleine guerre civile.
Mais depuis quelques mois, le transfert de loyauté de Joumblatt, qui est passé du 14 mars antisyrien à une position médiane avant de se rallier au 8 mars pro-syrien, laisse de nombreux druzes désemparés. En effet, après avoir clamé haut et fort, durant plus de trois ans, la culpabilité de la Syrie dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005, Joumblatt change soudain de fusil d’épaule. Le mois dernier, il déclare son alignement «aux côtés de la Syrie et de la Résistance pour permettre au jeu politique de suivre son cours, loin des divisions sectaires». Il justifie également son alliance avec le 8 mars «pour faire face à la phase actuelle et ses complications, le pays se trouvant à un carrefour dangereux, depuis les prises de position politiques du Tribunal spécial pour le Liban».

On se trouve devant un renversement de situation qui retire aux druzes leur statut de faiseurs de rois, estiment certains. «On a l’impression que les druzes ne sont plus leaders mais de simples suiveurs», affirme le juge Halabi.
Cette opinion semble avoir une résonnance presque tragique dans les villages druzes ayant été la scène de violents combats avec le Hezbollah, en mai 2008. «Certes, nous pouvons comprendre le désir de Walid Bey de nous éviter l’ire du Hezbollah, mais ses positions jusqu’au-boutistes et son désir de s’aliéner encore une autre communauté (cette fois sunnite) nous déconcertent», commente Sana, une enseignante de Aley. D’autres rappellent qu’ils n’ont pas oublié pour autant les combats qui ont eu lieu dans le Chouf, à Choueifat ou Baysour, ayant provoqué un nombre important de victimes. Un ancien combattant du PSP rappelle: «Nous avons lutté lors de la guerre civile et savons quel est le prix des combats et nous ne voulons pas revivre cette expérience. Mais je ne vois pas pour autant comment le fait de courber l’échine sans l’obtention de garanties va sauvegarder notre intérêt à long terme. Nous avons été traités comme des ennemis en 2008 et Choueifat n’était pas pour autant Kyriat Shmona», ajoute Waël.
Au sein du Parti socialiste progressiste (PSP), certains affirment être inquiets de la pression militaire exercée par le Hezbollah sur la Montagne ces dernières années. «Bien que les cadres du Hezbollah tentent de coordonner leurs activités ou effectuent des visites de courtoisie de manière régulière chez certaines personnalités – ils ont rendu visite au maire de la ville de Aley, Wajdi Mrad, le mois passé, lui-même blessé au dos lors des combats de 2008 –, ils sont toujours présents dans notre secteur», déclare un membre de la municipalité de Aley. Depuis 2008, le Hezbollah aurait établi un poste sur la colline 888, d’une grande importance stratégique militaire, surplombant ce centre d’estivage. Cependant, cette information n’a pas pu être confirmée par Magazine. Le Parti de Dieu occupe également les anciennes fortifications construites par les Israéliens au-dessus de Niha dans le Chouf.
Néanmoins, certains comme Abir Adnan soutiennent les nouvelles prises de position de Joumblatt. L’évolution de la situation régionale, extrêmement défavorable au 14 mars et la mauvaise gestion du TSL suscitant, à leurs yeux, de nombreuses interrogations. «Je trouve plutôt étrange que soudainement le Hezbollah soit impliqué dans l’assassinat de Hariri alors que cela fait des années que les Américains et les Israéliens tentent de mettre fin à la Résistance. Je crois que les calculs de Walid bey sont tout à fait justifiés», ajoute-t-elle.
Une analyse également défendue par Rami Rayes, le porte-parole du PSP. «Le repositionnement du PSP est un retour aux sources, la communauté faisait partie des mouvements de Résistance depuis l’époque du prince Sultan Bacha el-Atrache, qui a combattu le mandat français. Le souci primordial de Walid Bey est de préserver la paix civile. Cette intention a été prouvée par la manière dont il a géré divers dossiers sensibles comme celui des deux Ziad (liés au PSP et ayant été assassinés en 2007) ou celui du 7 mai», ajoute-t-il.

L’ancien ministre Marwan Hamadé nie pour le moment le risque de voir le malaise druze se transformer en mouvement de contestation. Dans une entrevue à la chaîne satellitaire émiratie al-Aan, il déclare. «Les druzes ne vont pas se démarquer de Walid Bey. Ils peuvent avoir une autre opinion mais entre leur opinion et la prise de position à plus long terme il y a une grande différence. Il faudra également voir quelle sera la position de Joumblatt par rapport à l’évolution de la situation régionale».
Mais dans certains cercles druzes, les critiques se font plus acerbes à l’égard du chef de la communauté. On dit que l’un des contestataires à la politique de Walid Bey ne serait autre que son fils, en exil à Paris en raison des divergences familiales, une information qui n’a cependant pu être confirmée par Magazine. Le site Now Lebanon, évoque, lui, une proposition qui aurait été soumise lors des dernières assises du PSP organisées à l’hôtel Beau Rivage, une information confirmée par certaines sources à Magazine. Il y figurait une demande de débat autour du retour du parti au sein du 14 mars. «Cela est totalement faux, aucune demande n’a été soumise lors des assises. Il y a juste eu quelques interventions accompagnées d’une demande d’explications sur certains points du discours de Walid Bey. J’ai demandé à de nombreuses personnes qui ont assisté à cette réunion si elles avaient entendu parler d’une telle proposition mais personne n’en a eu vent», s’insurge Rayes.
D’autres doléances auraient été exprimées sans qu’un débat n’ait lieu. «Nous avons également demandé à ce que le rôle des druzes soit redynamisé dans la fonction publique. Nous avons l’impression que nous sommes marginalisés sans que Walid Bey ne se préoccupe de nos intérêts», se plaint un cadre du PSP sous couvert d’anonymat.
Un témoignage réfuté en bloc par Rayes qui s’étonne que de telles revendications purement communautaires puissent être débattues lors d’une réunion partisane comportant des membres d’autres confessions.
Joumblatt, en fin politicien, semblerait toutefois se méfier d’une possible contestation de sa politique au sein de sa communauté. Selon une source liée aux services de renseignement libanais, le leader druze chercherait à se rapprocher de ses anciennes gardes prétoriennes ayant participé à la guerre de la Montagne, et depuis longtemps écartée, ainsi que du cheikh Ali Zeineddine, féroce opposant au Hezbollah, qui avait pourtant profité par le passé des largesses de la République iranienne. Cette alternative serait une option dans le cas où l’opposition deviendrait trop virulente.
Des rumeurs qui n’ont toutefois pas pu être confirmées au sein de l’appareil officieux du PSP, plusieurs membres interrogés par Magazine ayant nié cette information. «Nous n’adhérons pas au concept de zones militarisées. Comme vous pouvez le constater, nous ne disposons même pas de gardes de corps, ces racontars sont complètement infondés», dixit Rayes.
En l’absence d’une réelle opposition qui serait également affaiblie par les clivages sectaires caractéristiques au Liban, Joumblatt demeure, semblerait-il, le chef incontesté de la communauté, malgré le malaise qu’elle traverse.
Mais paradoxalement, les commentaires du leader druze sur la révolution égyptienne, publiés dernièrement, semblent trouver un écho profond sur la place libanaise. «Nous nous dirigeons vers un nouveau Moyen-Orient où existent la liberté et la démocratie», avait-il dit. La semaine passée, des centaines de jeunes Libanais avaient scandé, «Le confessionnalisme est mauvais pour la santé, nous vous prions de vous en abstenir», «Révolution contre le féodalisme, contre la ségrégation!».
En effet, aujourd’hui, dans un Liban éduqué, de plus en plus jeune et de mieux en mieux connecté ce n’est pas le pouvoir d’un seul leader communautaire qui se joue, qu’il soit druze, chrétien, ou musulman mais celui de toute une classe politique… Mona Alami pour Magazine ( Décembre)

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