Saturday, March 13, 2010

Les choix d’Israël: attaquer l’Iran, ou faire la paix avec la Syrie, selon Patrick Seale, spécialiste britannique du Moyen-Orient


De passage au Liban pour le lancement de son nouveau livre Riad el-Solh: la lutte pour l’indépendance, Patrick Seale, journaliste britannique et spécialiste du Moyen-Orient, a accordé une interview à Magazine consacrée à la situation politique au Liban et dans l’ensemble de la région.

Q-Quelle est votre analyse de la politique étrangère du président américain Barack Obama, surtout sur la question du Moyen-Orient? Pensez-vous qu’elle sera plus efficace que celle adoptée sous le mandat du président George Bush?
R-Je crois que tout le monde a été déçu par le président Barack Obama, porteur de grands espoirs au lendemain de son élection à la présidence américaine. Il a été certainement distrait par ses problèmes domestiques et l’obstruction systématique de ses initiatives politiques moyenne-orientales par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu. Ses premières décisions portant sur la région ont été de nommer George Mitchell (l’envoyé spécial pour le Proche-Orient) et de demander le gel de la colonisation israélienne des territoires occupés. Mais cette dernière initiative s’est avérée impossible. Pour ce qui est de la guerre contre le terrorisme, Obama a fini par adopter la même stratégie que son prédécesseur, en étendant le champ de la lutte. Il a également tendu la main à l’Iran, mais cette approche n’a pas été couronnée de succès. Pour sa défense, on peut dire qu’il n’en est toujours qu’à sa première année de mandat présidentiel. Il a donc toujours la possibilité de renverser la tendance, mais je crois cela peu probable, en raison de la forte contestation de l’establishment américain.

Q-Quels sont les puissances régionales qui ont su le mieux tirer profit de ce changement de la politique américaine?
R-Il faut admettre que deux puissances moyennes-orientales ont été particulièrement actives dernièrement: en premier lieu la Turquie, qui a lancé une grande offensive de paix tout en se rapprochant de la Syrie, du Liban, de l’Irak et de l’Iran. Elle a également rejeté toute action militaire contre ce dernier pays. C’est l’unique puissance militaire qui soit bien perçue en Afghanistan et c’est le pays qui a servi de médiateur pour les négociations entre Israël et la Syrie. La seconde puissance que l’on pourrait citer est le Qatar, qui a négocié les accords de Doha ainsi que ceux conclus entre le Soudan et le Tchad, concernant la région du Darfour.

Q-Pensez vous qu’une attaque israélienne contre l’Iran soit vraiment possible? La situation au Moyen-Orient est-elle aujourd’hui aussi dangereuse qu’on serait tenté de le croire?
R-La situation est en effet très volatile: les Israéliens tentent de provoquer une attaque contre l’Iran. Je crois qu’ils prévoiraient de mener une action contre l’Iran qui entraînerait une riposte de ce dernier visant les bases américaines dans le Golfe. La situation est donc très sérieuse, les pays du Golfe étant sur la ligne de feu. Les Israéliens ont aujourd’hui l’impression que leur hégémonie dans la région est en danger. Alors que, durant ces dernières soixante années, les pays arabes n’ont pu contenir la puissance d’Israël, la montée de certains acteurs non-étatiques, comme le Hamas et le Hezbollah d’une part, ainsi que de l’Iran, d’autre part, a permis de modifier la balance des forces au Moyen-Orient. Israël pourrait dont tenter de s’extraire de cette situation soit par une attaque contre l’Iran, ou bien en faisant la paix avec la Syrie.

Q-Quel est le danger d’une guerre entre Israël et le Liban?
R-Une guerre est toujours extrêmement difficile à prévoir. Celle de 2006 a démontré les limites de la défense d’Israël qui a toujours eu pour politique de mener la guerre en territoire ennemi, ce qui n’a pas été le cas lors du dernier conflit (le territoire israélien a en effet été bombardé par le Hezbollah, ndlr). Il se peut, cette fois, que la Syrie et l’Iran interviennent dans l’éventualité d’un nouveau conflit, car ils se trouveraient en danger. Toutefois, pour ces pays, le Hezbollah demeure la ligne de première défense. Netanyahu préfèrerait certainement garder le statu quo actuel, ce qui pourrait cependant s’avérer difficile pour lui. En effet, Israël se trouve sous pression depuis l’assassinat de Mahmoud Mabhouh (un haut responsable du Hamas, ndlr) à Dubaï et le scandaleux siège de Gaza, deux événements qui ont particulièrement terni son image. Les Israéliens sont aussi obsédés par l’Iran et par son programme nucléaire, que personne ne semble pouvoir arrêter. Ils tentent donc d’influencer la communauté internationale, mais inévitablement le Hezbollah fait partie de la défense iranienne.

Q-Dans quelle situation se trouve le Hezbollah aujourd’hui au Liban? Est-il le grand gagnant de la lutte de pouvoir ayant suivi l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri?
R-Le Hezbollah et ses alliés, notamment le Courant patriotique libre (CPL), sont une force dominante au Liban. Depuis que le Liban a réussi à atteindre une certaine stabilité politique, les autres factions ont dû apprendre à gérer cette nouvelle réalité. Il est néanmoins certain que l’idée selon laquelle le Liban pourrait être utilisé contre la Syrie a dû être abandonnée.

Q-Que pensez-vous des articles parus dans certains médias étrangers faisant état d’une possible expansion des activités du Hezbollah en Egypte et au Yémen? Croyez-vous que la lutte secrète opposant le Hezbollah à Israël ait remplacé, pour le moment du moins, l’éventualité d’une guerre conventionnelle?
R-Ces accusations sont peu crédibles: la lutte du Hezbollah contre Israël est avant tout nationale, c’est un mouvement qui est né de l’oppression subie par les habitants du Liban-Sud. Par ailleurs, il est scandaleux que l’Egypte se soit alignée sur Israël en bloquant les tunnels connectant Gaza à l’Egypte, un pays qui était le bastion du nationalisme arabe. La guerre souterraine a de tout temps été pratiquée par Israël qui, dans les années soixante-dix, avait recours au terrorisme étatique pour poursuivre ses ennemis.

Q-Quel est l’état des relations libano-syriennes, aujourd’hui, et comment le régime de Damas perçoit-il le Liban?
R-Les relations qu’entretiennent ces deux pays se sont certainement assainies récemment. La Syrie et le Liban sont deux pays indépendants, unis par des liens familiaux et des intérêts économiques communs. Le dicton ne dit-il pas après tout: un peuple, deux nations? Le divorce entre la Syrie et le Liban ne saurait donc avoir lieu et Damas ne peut, en aucun cas, tolérer un gouvernement hostile si près de sa capitale.

Q-On dit que la tutelle syrienne sur le Liban a été progressivement remplacée par une coalition syro-iranienne et arabe, depuis le retrait syrien…
R-En effet, la carte politique bouge constamment. Mais la relation entre la Syrie et l’Iran date de plus de trente ans, alors que les liens du Liban à la Syrie sont vieux de centaines d’années. Nous avons assisté à la montée de la communauté chiite qui a supporté le poids de l’occupation et constitue un élément important de la mosaïque libanaise. Mais le Liban a toujours été une sorte de mosaïque…

Q-Quel symbolisme attacher à la réunion de Damas entre le président iranien Mahmoud Ahmadinajad, le président syrien Bachar al-Assad et le chef du Hezbollah sayyed Hassan Nasrallah?
R-Le message est on ne peut plus clair: les participants à cette conférence ne peuvent être utilisés les uns contre les autres et la Syrie ne peut accepter un traité de paix séparé. Propos recueillis par Mona Alami( Magazine 12 Mars 2010)


Encadré
Patrick Seale est un journaliste de renommée internationale, spécialiste des questions du Moyen-Orient. Il a rédigé de nombreux ouvrages dont Assad de Syrie: La lutte pour le Moyen-Orient et une biographie d’Abou Nidal, un dissident du Fateh qui s’est rendu célèbre pour ses opérations terroristes. Né en Irlande, il a fait ses études au Collège Saint-Antoine d’Oxford. Il a par la suite travaillé pour l’agence de presse Reuters et le quotidien britannique The Observer.

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