Damas
Un attentisme prudent règne en Syrie. Dans un pays où rivalisent les manifestations pro-opposition et pro-régime, une grande majorité de la population semble toujours à l’affût d’un renversement clair des rapports de forces.
«La plus grande partie de la population, soit près de 70%, éviterait pour le moment de se ranger auprès de l’une ou l’autre faction, représentées par les manifestants pro-régime et ceux pro-opposition. Ces derniers gagneraient toutefois du terrain d’une semaine à l’autre en raison de la répression qui sévit». Telle est l’analyse du sociologue et membre de l’opposition Hassan Abbas.
Depuis le 15 mars dernier, la Syrie se débat, aux prises avec des manifestations pro-opposition, réprimées dans le sang par le gouvernement, des corps de l’armée syrienne ayant pris d’assaut certaines zones de conflit, notamment limitrophes des frontières avec le Liban et la Turquie. Ces affrontements se seraient soldés par plus de 1400 morts et au moins 5000 arrestations, selon les ONG, quelque 15000 réfugiés syriens ayant fui vers la Turquie et le Liban. En outre, quelque 400 militaires auraient été tués et 1300 autres blessés.
Cette réticence populaire se refléterait jusqu’aux classes les plus riches, considérées jusqu’à présent comme les alliées inconditionnelles du régime. «Les protestataires sont divisés entre malfrats et manifestants aux revendications légitimes. Mais ceux qui manifestent n’ont pas grand-chose à perdre quelle que soit l’issue de la situation, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des Syriens. La réponse du régime est toutefois inadaptée et avec une longueur de retard», critique Salem, un jeune et richissime homme d’affaires syrien.
Le monde des affaires inquiet
L’élite syrienne éviterait les prises de position virulentes par précaution. «Les plus proches du régime se gardent bien de toute déclaration tonitruante en faveur du pouvoir, par peur de représailles», ajoute-t-il.
Rami Makhlouf, cousin germain du président syrien Bachar el-Assad et grand ponte du monde des affaires en Syrie, avait été visé ainsi que 12 autres personnalités syriennes par des sanctions de l’Union européenne. Il avait annoncé le mois passé qu’il se consacrerait aux projets caritatifs et humanitaires.
Salem préfère éviter la polémique, en attendant une sortie de crise. «Que voulez-vous que l’on fasse? Près de 70% de notre fortune est investie en Syrie, notre priorité est de préserver nos intérêts et d’éviter que notre pays ne suive l’exemple de l’Irak», dit-il.
Le régime tenterait de gagner les faveurs de ces Syriens indécis par une impressionnante campagne publicitaire s’égrenant le long des avenues et des rues de Damas, menant vers le centre-ville. Sur des affiches géantes on peut ainsi lire: «Je suis avec la justice», «Je suis avec l’Etat», «Nous sommes tous un», « Dieu te protège Damas».
Les rues d’Abou Roumané, où se trouve l’imposant bâtiment du Four Seasons, sont calmes, pas un touriste ni un soldat à l’horizon.
«Ne vous méprenez pas sur le calme apparent prévalant dans les beaux quartiers, ça bouge tous les soirs dans les banlieues», signale mon taxi, «et ça ne s’arrêtera pas».
Les routes principales seraient bloquées tous les week-ends par les forces de l’ordre. Dans le centre-ville populaire de Damas, des femmes la tête nue ou entièrement voilées font leurs courses, frôlant parfois les costumes des militaires se promenant sur l’avenue de la Révolution.
Un peuple divisé
Ici, le langage se fait moins circonspect et les tensions semblent monter. Dans une ruelle jouxtant la mosquée des Omeyyades, Elias, un marchand chrétien, observe un cortège d’hommes habillés de Salwar Kamis à la mode pakistanaise. Il s’indigne des «Arabes qui veulent manifester à chaque appel à la prière».
D’autres comme Mouheb, un vendeur de tissus, dénoncent la permission accordée par l’Etat pour la tenue d’une réunion d’opposants à Damas, la semaine passée.
Cette réunion tient de la plaisanterie. «Qu’est-ce que ces gens savent de notre pays et de ce dont nous avons besoin? Ce sont des inconscients», souligne-t-il.
La rue syrienne semble se radicaliser de plus en plus, avec une crise qui s’installe dans la durée. Les derniers indécis n’auraient plus voix au chapitre dans une révolution née de la fracture sociale entre nantis et indigents et qui pourrait basculer dans le fanatisme, par manque de réformes réelles et de dialogue. M.A pour Magazine ( Juillet)
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Wednesday, July 20, 2011
Wednesday, May 4, 2011
Karim Bitar, chercheur à l’Iris, «Les pays de la région veulent la stabilité en Syrie»
Que se passe-t-il réellement en Syrie? Magazine a fait appel à Karim Emile Bitar, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.
Croyez-vous que les Assad soient divisés sur la manière de gérer la crise actuelle en Syrie?
Le régime syrien est l’un des plus opaques au monde. Il est donc difficile de porter un jugement, mais il est vrai que généralement en temps de crise, les anciennes rivalités ont tendance à ressurgir. Dans un premier temps, la gestion des mouvements de protestation a suivi dans une certaine mesure les scénarios qu’on a vus en Tunisie et en Egypte, notamment avec une alternance des pratiques répressives et des promesses de libéralisation et de démocratisation. En janvier dernier, Ben Ali donnait son célèbre discours «Je vous ai compris», en promettant la démocratie. Le lendemain, ses hommes tiraient sur les manifestants désarmés. Mais par la suite, Bachar el-Assad semble avoir choisi la voie du durcissement et de l’intransigeance. Son discours était exempt de toute promesse et n’a pas donné le moindre gage aux réformateurs. Sans doute craignait-il qu’en lâchant un peu de lest, il ne provoque un appel d’air et encore plus de revendications populaires. Ayant vu chuter Ben Ali et Moubarak, il sait que dès que la chape de plomb s’étiole, tout le reste peut s’écrouler. Il a donc choisi de ne rien céder.
On dit souvent que ce n’est pas le président Bachar el-Assad qui gouverne mais sa famille. Cette dernière tenterait de combattre toute tentative de réforme. Qu’en pensez-vous?
Oui, tout à fait. Si Bachar el-Assad veut apaiser la colère populaire, sauver son régime et rester au pouvoir, il aura à prendre des mesures à l’égard de son propre clan. Il devra adopter des réformes radicales qui pourraient déplaire aux membres de sa famille et limoger des responsables de la sécurité qui lui sont apparentés. Et les réformes économiques pourraient avoir des répercussions sur les intérêts de ses cousins Makhlouf. Il n’aura donc probablement pas les moyens d’aller très loin dans les réformes. Plus qu’un homme, c’est un système qui est au pouvoir à Damas.
Quelle est votre analyse de la récente déclaration de Hillary Clinton, la secrétaire d’état américaine, selon laquelle la Syrie n’est pas la Libye…
En qualifiant Bachar el-Assad de «réformateur» et en déclarant que les Etats-Unis n’interviendraient pas en Syrie, Hillary Clinton a rappelé que la Realpolitik l’emportait à Washington sur toute autre considération. C’était également le cas sous l’Administration Bush qui, malgré son soutien prétendu à la démocratisation, n’a jamais suspendu son aide à l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Tunisie ou le Yémen, ainsi qu’à bien d’autres régimes. Bill Clinton avait lui aussi admis ceci, en 1994, en déclarant: «Nous faisons fi de tous les principes que nous prétendons défendre». Les Etats-Unis continueront donc de soutenir les régimes autoritaires tant qu’ils sont en harmonie avec les intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Ils soutiendront également des régimes comme ceux de la Syrie s’ils estiment qu’ils constituent un moindre mal. Cette attitude changerait uniquement dans le cas où l’équilibre des forces sur le terrain serait modifié. Lorsque la personne au pouvoir ou «l’homme fort» devient tellement impopulaire qu’il se transforme en fardeau comme cela s’est passé en Egypte, les Etats-Unis commencent alors à reconnaître les aspirations à la démocratie et les droits de l’Homme avant de se lancer à la recherche d’un nouvel «homme fort» qui leur permettrait de maintenir les orientations stratégiques essentielles sans trop s’aliéner les populations. Pour comprendre l’avis de Clinton sur la Syrie, il est aussi très important de garder à l’esprit les pressions exercées par Israël, la Jordanie et l’Arabie saoudite sur les Etats-Unis dans le but de maintenir le statu quo au Moyen-Orient. Malgré leurs différences avec les dirigeants syriens, la plupart, sinon la totalité des pays de la région tiennent à préserver la stabilité du régime syrien. Propos recueillis par Mona Alami ( Magazine, Mars)
Croyez-vous que les Assad soient divisés sur la manière de gérer la crise actuelle en Syrie?
Le régime syrien est l’un des plus opaques au monde. Il est donc difficile de porter un jugement, mais il est vrai que généralement en temps de crise, les anciennes rivalités ont tendance à ressurgir. Dans un premier temps, la gestion des mouvements de protestation a suivi dans une certaine mesure les scénarios qu’on a vus en Tunisie et en Egypte, notamment avec une alternance des pratiques répressives et des promesses de libéralisation et de démocratisation. En janvier dernier, Ben Ali donnait son célèbre discours «Je vous ai compris», en promettant la démocratie. Le lendemain, ses hommes tiraient sur les manifestants désarmés. Mais par la suite, Bachar el-Assad semble avoir choisi la voie du durcissement et de l’intransigeance. Son discours était exempt de toute promesse et n’a pas donné le moindre gage aux réformateurs. Sans doute craignait-il qu’en lâchant un peu de lest, il ne provoque un appel d’air et encore plus de revendications populaires. Ayant vu chuter Ben Ali et Moubarak, il sait que dès que la chape de plomb s’étiole, tout le reste peut s’écrouler. Il a donc choisi de ne rien céder.
On dit souvent que ce n’est pas le président Bachar el-Assad qui gouverne mais sa famille. Cette dernière tenterait de combattre toute tentative de réforme. Qu’en pensez-vous?
Oui, tout à fait. Si Bachar el-Assad veut apaiser la colère populaire, sauver son régime et rester au pouvoir, il aura à prendre des mesures à l’égard de son propre clan. Il devra adopter des réformes radicales qui pourraient déplaire aux membres de sa famille et limoger des responsables de la sécurité qui lui sont apparentés. Et les réformes économiques pourraient avoir des répercussions sur les intérêts de ses cousins Makhlouf. Il n’aura donc probablement pas les moyens d’aller très loin dans les réformes. Plus qu’un homme, c’est un système qui est au pouvoir à Damas.
Quelle est votre analyse de la récente déclaration de Hillary Clinton, la secrétaire d’état américaine, selon laquelle la Syrie n’est pas la Libye…
En qualifiant Bachar el-Assad de «réformateur» et en déclarant que les Etats-Unis n’interviendraient pas en Syrie, Hillary Clinton a rappelé que la Realpolitik l’emportait à Washington sur toute autre considération. C’était également le cas sous l’Administration Bush qui, malgré son soutien prétendu à la démocratisation, n’a jamais suspendu son aide à l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Tunisie ou le Yémen, ainsi qu’à bien d’autres régimes. Bill Clinton avait lui aussi admis ceci, en 1994, en déclarant: «Nous faisons fi de tous les principes que nous prétendons défendre». Les Etats-Unis continueront donc de soutenir les régimes autoritaires tant qu’ils sont en harmonie avec les intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Ils soutiendront également des régimes comme ceux de la Syrie s’ils estiment qu’ils constituent un moindre mal. Cette attitude changerait uniquement dans le cas où l’équilibre des forces sur le terrain serait modifié. Lorsque la personne au pouvoir ou «l’homme fort» devient tellement impopulaire qu’il se transforme en fardeau comme cela s’est passé en Egypte, les Etats-Unis commencent alors à reconnaître les aspirations à la démocratie et les droits de l’Homme avant de se lancer à la recherche d’un nouvel «homme fort» qui leur permettrait de maintenir les orientations stratégiques essentielles sans trop s’aliéner les populations. Pour comprendre l’avis de Clinton sur la Syrie, il est aussi très important de garder à l’esprit les pressions exercées par Israël, la Jordanie et l’Arabie saoudite sur les Etats-Unis dans le but de maintenir le statu quo au Moyen-Orient. Malgré leurs différences avec les dirigeants syriens, la plupart, sinon la totalité des pays de la région tiennent à préserver la stabilité du régime syrien. Propos recueillis par Mona Alami ( Magazine, Mars)
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Dans les rues de Damas, la peur au ventre

Entre les scènes de protestation contre le régime et les manifestations de soutien au président Bachar el-Assad, diffusées sur toutes les chaînes, il est difficile d’établir une distinction entre la réalité et la fiction. Quelle ambiance règne véritablement à Damas?
Le poste frontière de Masnaa est calme en ce lundi matin, peu de voitures ayant tenté le parcours de deux heures entre Damas et Beyrouth. «Le trafic routier s’est nettement ralenti ces deux dernières semaines, depuis le début des troubles», déclare Yasser, chauffeur de taxi, un habitué de ce trajet.
Durant les semaines précédentes, des émeutes, notamment dans la ville portuaire de Lattaquié et dans celle de Deraa, limitrophe de la Jordanie, ont opposé des manifestants aux forces de l’ordre syriennes. Depuis le début des événements, une centaine de personnes auraient été tuées selon des militants et des ONG, une trentaine selon les autorités.
A Masnaa, les voitures sont fouillées minutieusement par des membres des services de renseignement syriens. «Il est interdit aux journalistes de traverser la frontière», déclare notre chauffeur. Samedi dernier, deux journalistes de l’agence de presse Reuters Télévision (le producteur Ayat Basma et le cameraman Ezzat Baltaji) couvrant les manifestations en Syrie avaient disparu. Ils ont été libérés depuis par les forces de l’ordre syriennes.
Les journalistes ne sont pas les seuls frappés d’interdit d’entrée en Syrie. «Il paraît que les douaniers empêcheraient les ouvriers syriens natifs de Deraa travaillant au Liban de rentrer au pays», ajoute le chauffeur. Une information qui n’a cependant pu être confirmée par Magazine.
A Damas, le printemps est déjà là. Dans le quartier chic de Melki, les rues bondées de voitures sont séparées de platebandes couvertes de gazon et de tulipes jaunes et rouges. Le calme règne dans la capitale, loin des clameurs tumultueuses des régions rurales et portuaires, où ont eu lieu les manifestations les plus violentes.
«Ici, le président Bachar jouit toujours d’une certaine popularité bien que la demande pour de plus grandes réformes soit tout à fait justifiée», précise Hilal, un commerçant druze à la retraite. De son luxueux appartement, on distingue au loin la bibliothèque Assad, un bâtiment imposant qui surplombe l’entrée de la ville. «Il y a aussi l’instinct sectaire qui contribue à la tendance du statu quo, les minorités craignant en effet de perdre au change dans le cas d’une prise de pouvoir de la majorité sunnite».
De plus, de nombreuses minorités, représentant près de 25% de la population syrienne, comprenant essentiellement les alawites, les druzes et les chrétiens, craignent la contagion islamiste fondamentaliste. La bourgeoisie syrienne a également peur du changement et redoute le remplacement du régime par un autre, qui pourrait s’avérer pire que le précédent.
«Une certaine ouverture a été pratiquée au niveau économique qui a permis de libéraliser l’activité du marché et la création de la bourse de Damas, dont la classe privilégiée a profité», dixit Hilal. Hôtels de luxe et marques internationales ont désormais pignon sur rue à Damas. Le Four Season et le Sheraton ainsi que des chaînes d’habillement comme Zara ont ouvert leurs portes dans le centre de la capitale.
Conduisant son taxi jaune à vive allure à travers les rues de Damas, Hassan est l’un des rares chauffeurs à accepter de se livrer. «En Syrie, nous avons l’impression qu’il soit permis au président de décider de la politique étrangère du pays sans avoir vraiment le droit de toucher au système et à la politique interne. En effet, trop de personnes influentes de son entourage en profitent», explique-t-il.
Mais pour bon nombre de citoyens, ni la politique étrangère, ni les réformes économiques ne semblent aujourd’hui vitales. «La répression des protestations à Deraa a été alarmante. De nombreux jeunes ayant milité sur Facebook pour le mouvement de révolte ont été arrêtés. Ils sont toujours en prison; il existe donc une contradiction entre le discours rassurant du régime prônant une plus grande ouverture et des réformes politiques et la réalité», souligne Abou Mohammad, un activiste originaire de Deraa.
Les témoignages des opposants ainsi que ceux des partisans du régime concordent cependant sur un point, la plupart des personnes interviewées par Magazine ayant pointé du doigt les Makhlouf, cousins maternels du président. «Ils sont partout, dans toutes les entreprises, dont une part des actions leur est forcément attribuée, que ce soit en leur nom ou en usant d’un prête-nom», se plaint un économiste syrien. Cet entourage est donc à blâmer pour la corruption endémique qui paralyse les institutions. Selon les témoignages, tout investissement d’importance doit obtenir l’aval de la famille Makhlouf. «Une marque de vêtements et d’accessoires s’étant récemment implantée à Damas a été empêchée d’opérer sous des prétextes divers, jusqu’à ce que les propriétaires décident d’octroyer une part des actions à un membre de la famille», explique l’économiste.
Mais à Damas, la méfiance reste maître-mot. Dans le taxi qui nous mène vers le centre-ville, la femme de Hilal interrompt son mari d’un coup de coude alors qu’il émet des critiques sur la performance de… l’équipe syrienne nationale de football. «Il vaut mieux éviter tout commentaire négatif même sur un sujet aussi futile, c’est plus sage, on ne sait jamais si le chauffeur de taxi est un mouchard ou pas», chuchote-t-elle.
Les moukhabarat, les services de renseignement syriens tout-puissants, quadrillent la ville habillés en civil. Ils sont particulièrement nombreux aux alentours du souk al-Hamidiyé. En effet, c’est ici, près de la grande mosquée des Omeyyades, qu’une première manifestation a eu lieu le 18 mars. Le quartier, à fort caractère islamique, traversé de ruelles étroites et d’échoppes hautes en couleur, est l’un des plus animés de la ville. Dans les magasins, des téléviseurs pour la plupart diffusant en continu les informations d’al-Jazeera, ont été disposés derrière un rideau ou à l’étage supérieur. Al-Jazeera est perçue par de nombreux régimes arabes comme un catalyseur du mouvement pro-démocratique arabe.
La rue syrienne est envahie de rumeurs. «On ne sait plus où donner de la tête, on impute les troubles à l’infiltration des manifestations par des éléments armés qui auraient massacré les protestataires, tantôt ce sont les milices de Ribal el-Assad, le cousin du président (écarté du pouvoir), tantôt les Jordaniens ou des militants financés par Saad Hariri», s’inquiète Haytham, un antiquaire du quartier. Mona Alami ( Magazine Mars)
Le poste frontière de Masnaa est calme en ce lundi matin, peu de voitures ayant tenté le parcours de deux heures entre Damas et Beyrouth. «Le trafic routier s’est nettement ralenti ces deux dernières semaines, depuis le début des troubles», déclare Yasser, chauffeur de taxi, un habitué de ce trajet.
Durant les semaines précédentes, des émeutes, notamment dans la ville portuaire de Lattaquié et dans celle de Deraa, limitrophe de la Jordanie, ont opposé des manifestants aux forces de l’ordre syriennes. Depuis le début des événements, une centaine de personnes auraient été tuées selon des militants et des ONG, une trentaine selon les autorités.
A Masnaa, les voitures sont fouillées minutieusement par des membres des services de renseignement syriens. «Il est interdit aux journalistes de traverser la frontière», déclare notre chauffeur. Samedi dernier, deux journalistes de l’agence de presse Reuters Télévision (le producteur Ayat Basma et le cameraman Ezzat Baltaji) couvrant les manifestations en Syrie avaient disparu. Ils ont été libérés depuis par les forces de l’ordre syriennes.
Les journalistes ne sont pas les seuls frappés d’interdit d’entrée en Syrie. «Il paraît que les douaniers empêcheraient les ouvriers syriens natifs de Deraa travaillant au Liban de rentrer au pays», ajoute le chauffeur. Une information qui n’a cependant pu être confirmée par Magazine.
A Damas, le printemps est déjà là. Dans le quartier chic de Melki, les rues bondées de voitures sont séparées de platebandes couvertes de gazon et de tulipes jaunes et rouges. Le calme règne dans la capitale, loin des clameurs tumultueuses des régions rurales et portuaires, où ont eu lieu les manifestations les plus violentes.
«Ici, le président Bachar jouit toujours d’une certaine popularité bien que la demande pour de plus grandes réformes soit tout à fait justifiée», précise Hilal, un commerçant druze à la retraite. De son luxueux appartement, on distingue au loin la bibliothèque Assad, un bâtiment imposant qui surplombe l’entrée de la ville. «Il y a aussi l’instinct sectaire qui contribue à la tendance du statu quo, les minorités craignant en effet de perdre au change dans le cas d’une prise de pouvoir de la majorité sunnite».
De plus, de nombreuses minorités, représentant près de 25% de la population syrienne, comprenant essentiellement les alawites, les druzes et les chrétiens, craignent la contagion islamiste fondamentaliste. La bourgeoisie syrienne a également peur du changement et redoute le remplacement du régime par un autre, qui pourrait s’avérer pire que le précédent.
«Une certaine ouverture a été pratiquée au niveau économique qui a permis de libéraliser l’activité du marché et la création de la bourse de Damas, dont la classe privilégiée a profité», dixit Hilal. Hôtels de luxe et marques internationales ont désormais pignon sur rue à Damas. Le Four Season et le Sheraton ainsi que des chaînes d’habillement comme Zara ont ouvert leurs portes dans le centre de la capitale.
Conduisant son taxi jaune à vive allure à travers les rues de Damas, Hassan est l’un des rares chauffeurs à accepter de se livrer. «En Syrie, nous avons l’impression qu’il soit permis au président de décider de la politique étrangère du pays sans avoir vraiment le droit de toucher au système et à la politique interne. En effet, trop de personnes influentes de son entourage en profitent», explique-t-il.
Mais pour bon nombre de citoyens, ni la politique étrangère, ni les réformes économiques ne semblent aujourd’hui vitales. «La répression des protestations à Deraa a été alarmante. De nombreux jeunes ayant milité sur Facebook pour le mouvement de révolte ont été arrêtés. Ils sont toujours en prison; il existe donc une contradiction entre le discours rassurant du régime prônant une plus grande ouverture et des réformes politiques et la réalité», souligne Abou Mohammad, un activiste originaire de Deraa.
Les témoignages des opposants ainsi que ceux des partisans du régime concordent cependant sur un point, la plupart des personnes interviewées par Magazine ayant pointé du doigt les Makhlouf, cousins maternels du président. «Ils sont partout, dans toutes les entreprises, dont une part des actions leur est forcément attribuée, que ce soit en leur nom ou en usant d’un prête-nom», se plaint un économiste syrien. Cet entourage est donc à blâmer pour la corruption endémique qui paralyse les institutions. Selon les témoignages, tout investissement d’importance doit obtenir l’aval de la famille Makhlouf. «Une marque de vêtements et d’accessoires s’étant récemment implantée à Damas a été empêchée d’opérer sous des prétextes divers, jusqu’à ce que les propriétaires décident d’octroyer une part des actions à un membre de la famille», explique l’économiste.
Mais à Damas, la méfiance reste maître-mot. Dans le taxi qui nous mène vers le centre-ville, la femme de Hilal interrompt son mari d’un coup de coude alors qu’il émet des critiques sur la performance de… l’équipe syrienne nationale de football. «Il vaut mieux éviter tout commentaire négatif même sur un sujet aussi futile, c’est plus sage, on ne sait jamais si le chauffeur de taxi est un mouchard ou pas», chuchote-t-elle.
Les moukhabarat, les services de renseignement syriens tout-puissants, quadrillent la ville habillés en civil. Ils sont particulièrement nombreux aux alentours du souk al-Hamidiyé. En effet, c’est ici, près de la grande mosquée des Omeyyades, qu’une première manifestation a eu lieu le 18 mars. Le quartier, à fort caractère islamique, traversé de ruelles étroites et d’échoppes hautes en couleur, est l’un des plus animés de la ville. Dans les magasins, des téléviseurs pour la plupart diffusant en continu les informations d’al-Jazeera, ont été disposés derrière un rideau ou à l’étage supérieur. Al-Jazeera est perçue par de nombreux régimes arabes comme un catalyseur du mouvement pro-démocratique arabe.
La rue syrienne est envahie de rumeurs. «On ne sait plus où donner de la tête, on impute les troubles à l’infiltration des manifestations par des éléments armés qui auraient massacré les protestataires, tantôt ce sont les milices de Ribal el-Assad, le cousin du président (écarté du pouvoir), tantôt les Jordaniens ou des militants financés par Saad Hariri», s’inquiète Haytham, un antiquaire du quartier. Mona Alami ( Magazine Mars)
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